Diane Landry, trente-cinq ans à recycler le banal quotidien

L’artiste Diane Landry
Photo: Hubert Hayaud Le Devoir L’artiste Diane Landry

Une horloge, le mouvement des vagues, la succession de jours et de nuits… Depuis 35 ans, l’art de Diane Landry est marqué par le temps qui passe. Cette marathonienne qui affiche ses chronos sur son site Web a trouvé plus d’une fois dans ses marches quotidiennes l’origine de ses installations cinétiques, sonores et/ou lumineuses.

Les moteurs, engrenages et poulies qui font tourner les oeuvres sont « des roues de chronométrage », écrit Marie J. Jean, directrice du centre Vox et co-commissaire avec Claudine Roger de la rétrospective Les prévisions transparentes, consacrée à Diane Landry.

Qui dit rétrospective, dit retour dans le temps. Celui qui prend place dans l’édifice 2-22 du centre-ville de Montréal remonte à 1996, année du Phare, réalisée alors que l’artiste commence à marquer les esprits après une décennie de pratique.

Présenté en fin de parcours, comme le clou d’un spectacle fait de féerie et de refus de défaitisme face à l’avenir planétaire, Le phare prend l’envergure d’oeuvre emblématique, de celle qui ouvre la voie. Animée par la projection d’ombres et par la rotation de tourne-disques, cette « danse d’objets utilitaires mis en confrontation lyrique », comme la décrit Diane Landry, est l’une de ses premières avec automatisation.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Vue de l'exposition «Les prévisions transparentes»

« L’oeuvre date de l’époque où les gens passaient du tourne-disque au lecteur CD, se souvient-elle, lors d’un entretien accordé par vidéoconférence. Entre la maison et l’atelier, le jour des vidanges, j’en trouvais plein. »

L’artiste de Québec a éprouvé « une belle surprise » en revoyant Le phare s’activer, dix ans après sa précédente sortie, en Normandie. « Je me suis demandé si elle allait bien. Elle va bien », dit celle qui humanise ses oeuvres, comme elle le faisait déjà dans nos pages au sujet d’École d’aviation, aujourd’hui au Cameron Art Museum, en Caroline du Nord.

Le cycle de la vie, naturelle ou matérielle, est manifeste à chaque étape de l’exposition. Elle atteint une sorte de paroxysme dans Chevalier de la résignation infinie (2009), autre installation magnifiée par ses ombres. Douzeroues de vélo tournent et portent, avec leurs couronnes de bouteilles d’eau jetables, le poids du monde. L’élément sonore produit par le déplacement de sable nous transporte dans l’incessant balancement de la mer.

« Je savais que cette oeuvre vieillirait à cause du sable qui crée de l’érosion à l’intérieur des bouteilles. Il les ternit, les modifie. Je savais que ça arriverait », dit-elle. Difficile de ne pas voir devant ce spectacle pourtant captivant la lente destruction de la planète.

Il y a toutes sortes de manières d’agir et, par l’art, j’avais l’impression que je pouvais amener quelque chose.


Ce penchant pour le recyclage de matériaux et pour l’évocation de la nature fait de Diane Landry une artiste écologiste. Si elle approuve l’idée qu’un commentaire environnemental teinte son travail, elle assure qu’il se manifeste inconsciemment. « Ce ne sont pas des hasards », reconnaît celle qui a une formation en techniques des sciences naturelles.

Recyclée de l’agriculture

Native de la Mauricie, Diane Landry a trouvé dans l’art son deuxième métier. C’est sur le terrain, au sein d’un centre de recherche en agriculture, qu’elle a travaillé dans sa jeune vingtaine, avant de « tout quitter » en 1983. Bachelière en arts plastiques de l’Université Laval cinq ans plus tard — et détentrice d’une maîtrise d’une université californienne depuis 2006 —, elle est devenue une artiste de renom, avec « un esprit scientifique ».

Si elle a aimé « son travail d’action » d’autrefois, elle s’estime encore utile. « Il y a toutes sortes de manières d’agir et, par l’art, j’avais l’impression que je pouvais amener quelque chose. » Elle qui a des « tonnes d’idées » ne prétend pourtant pas dicter ses pensées. « Je laisse l’espace aux gens. Le bagage, la culture, le passé personnel à chacun affecte la lecture [d’une oeuvre]. »

La série Le déclin bleu (2002), dont un exemple fait partie de l’exposition, est une autre proposition qui recycle des bouteilles en plastique. Leur eau, Diane Landry l’a bue… à Marseille. Incapable de les jeter, elle en a fait la source de mandalas projetés au mur. Sous sa main, chaque banal élément fait un bien fou.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Un groupe scolaire en visite à l'exposition de Diane Landry au centre Vox

Expo jeunesse

En complément à sa rétrospective, Diane Landry a été invitée à concevoir la cinquième expo « jeunesse » du centre Vox. Les horloges et les maïs surdimensionnés de deux installations inédites, Mécanique céleste et Les calorifères, invitent les 6 à 12 ans à plonger dans « une réflexion artistique, philosophique et écologique sur le temps ». L’artiste admet cependant ne pas avoir travaillé autrement, sinon sur le plan de la hauteur ou de l’éclairage des oeuvres. « Je fais confiance aux enfants. Ils sont réceptifs, n’ont pas peur de ne pas comprendre. » À noter que les ateliers développés par Vox tournent autour de l’évolution des technologies de l’image et comprennent trois « samedis famille ».

« Quand je travaille avec un objet, je ne le transforme pas. On le reconnaît, c’est toujours quelque chose de très ordinaire, dit-elle, en pensant aux crayons, clés ou fourchettes de Mécanique céleste (2023), installation créée pour l’expo. J’essaie d’amener à [voir] du potentiel même dans les ordures. »

Des 15 disques « photographiques » (images imprimées sur panneau circulaire) qui ouvrent l’exposition aux 15 tourne-disques qui la ferment, Les prévisions transparentes cumule les supports ronds. Rare exception, La chute (2017) reproduit, à la verticale et par l’assemblage de 60 folioscopes (flip books) motorisés, les mouvements tout aussi cycliques d’une cascade d’eau. « C’est un portrait des chutes Montmorency, dit son autrice, qui a doté chaque flip book de 24 photos. Le mécanisme n’est pas ultraprécis, mais se rapproche du 24 images par seconde, pour l’effet [cinéma]. »

Tous les effets, apparences et mirages que Diane Landry propose proviennent de son quotidien. Jadis, ce sont des tourne-disques qu’elle ramassait. Désormais, ce sont des sols qu’elle photographie. Ceux-ci deviennent d’étonnants paysages dans Mécanique céleste et ses pseudo-horloges. Le temps passe, mais l’artiste demeure attentive au rythme de la vie. « Ces horloges, qui tournent un peu plus vite qu’un tour minute, ne sont pas très exactes. Comme quand je me rends à l’atelier : j’arrête, repars, change de direction. Ça évoque ça, à une échelle très personnelle. »

C’est sa leçon de survie, involontaire : se satisfaire de s’émerveiller de la banalité, celle près de nous.

Les prévisions transparentes

De Diane Landry. À Vox, centre de l’image contemporaine, jusqu’au 23 juin.



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