Les musées comme levier pour améliorer les conditions des artistes en arts visuels

Les négociations avec les grands musées d’art québécois débuteront sous peu.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les négociations avec les grands musées d’art québécois débuteront sous peu.

Les effets de la réforme du statut professionnel des artistes se dessinent de plus en plus. On a beaucoup parlé des écrivains depuis l’adoption en juin dernier du projet de loi 35. Les changements sont majeurs aussi pour les artistes des métiers d’art et pour les artistes visuels. Le Devoir s’est entretenu avec le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) sur ce renouveau.

« C’est parti ! On a reformé notre comité de négociations ! » explique l’artiste de la fibre Lise Létourneau, qui est aussi membre du conseil d’administration du RAAV. Les avis de négociation ont été postés tout récemment à quelques diffuseurs, et le RAAV attend les réponses.

« On a ressorti nos vieux papiers », c’est-à-dire ceux qui ont servi lors des négociations, épiques et ayant fait un détour jusqu’en Cour suprême, pour l’instauration d’un accord-cadre entre le RAAV, le Front des artistes canadiens (CARFAC) et le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), ratifié en 2015. Cette première négociation fut possible parce que le MBAC répond à la Loi fédérale sur le statut de l’artiste — mais pas les musées du Québec. La refonte de la loi provinciale permet maintenant d’ouvrir la discussion avec les musées et les diffuseurs de la province.

« On repart exactement avec les principes négociés avec le MBAC. On a déjà les tarifs, on sait quelles sont nos exigences », explique Mme Létourneau. Par exemple ? « Payer les artistes aussi quand ils font leur montage et pour la préparation des expositions, y compris les rencontres ou le dépôt de documents. La grille tarifaire proposée est détaillée. On est prêts à commencer les négociations. »

Et qui sont ces diffuseurs de l’autre côté de la table ? « Je ne veux pas le dire, parce que ce n’est pas officiel. On va leur laisser le temps de nous répondre… » Il s’agit de toute évidence des musées d’art québécois les plus importants.

Effet domino, des musées aux artistes

« Notre problème, analyse Mme Létourneau, c’est que les structures qui relient les musées et les centres d’exposition ou d’artistes, comme la Société des musées du Québec (SMQ) ou le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec, n’ont pas le pouvoir de négocier pour leurs membres. »

« Mais nous, on croit à l’effet domino, avance l’artiste-négociatrice. On s’attaque aux plus gros, et après qu’on aura passé les deux ou trois premiers, on pense que ça va débouler et qu’on va pouvoir alors s’asseoir avec la SMQ pour trouver une manière de discuter plus globalement. » Autrement dit, la SMQ pourrait, d’ici là, changer son mandat pour simplifier les négociations. C’est ce que souhaite le RAAV.

Mais est-ce que les contrats des musées ne visent pas qu’un nombre fort limité d’artistes ? « Effectivement, il n’y a pas tant de monde que ça qui expose dans un musée. On aime mieux commencer par eux, parce que ce sont des phares ; après, on regardera les centres d’artistes. On vise les gros établissements, pour que ça tire les conditions par le haut. On pense que le milieu va ensuite se normaliser de lui-même. »

« Il y a une tonne de centres d’exposition au Québec, dit Lise Létourneau. Si je regarde juste dans mon coin, à Shefford et dans ses environs, il y a plein de petits centres municipaux, par exemple, qui ont l’habitude de ne pas payer les artistes qu’ils exposent. On croit que ça va finir par percoler, des musées jusque-là, que les bonnes pratiques vont se normaliser et que les gens vont les adopter d’eux-mêmes. » Mais il est clair pour le RAAV, par exemple, que le Musée des beaux-arts de Montréal devrait payer plus cher qu’un centre d’artistes autogéré.

On repart exactement avec les principes négociés avec le MBAC. On a déjà les tarifs, on sait quelles sont nos exigences.

 

Et du côté des galeries ? « On a déjà signé des contrats types, notamment avec l’Association des galeries d’art contemporain. Ça, c’est fait depuis longtemps, et ça s’est fait de manière très conviviale. On sait que les galeries sont des entreprises privées et qu’on ne peut pas aller aussi loin. On agit sur les contrats. Ce sont des relations d’affaires, ce n’est pas du tout la même chose. »

Le RAAV ne prévoit donc pas avoir besoin d’un grand budget de négociation. Il faudra embaucher une personne, davantage pour faire le suivi et la surveillance des contrats, et cumuler des données statistiques. Seuls les artistes qui auront des contrats avec les musées ou les diffuseurs qui ont ratifié les accords doivent et devront remettre un prélèvement associatif de 5 % pour les membres et de 10 % pour les non-membres. « On ne va pas augmenter nos cotisations pour ça. Ni les appliquer à l’ensemble de nos membres. »

Être peintre sur Instagram

Une autre chose qui, avec la loi, change beaucoup pour les artistes visuels, c’est « la notion de professionnalisme, précise Mme Létourneau. L’ancienne loi basait surtout cette définition sur la reconnaissance des pairs, sur le fait d’avoir exposé dans des lieux reconnus, etc. Bref, sur des critères semblables à ceux qui déterminent le professionnalisme chez les subventionneurs gouvernementaux. On était un peu pris avec ça, et ça faisait beaucoup de catégories d’artistes exclues ».

« Il y a des jeunes, par exemple, qui vendent uniquement par le truchement de leurs sites Internet ou en s’exposant sur les médias sociaux et en gardant leurs ateliers ouverts. Ma voisine fonctionne comme ça, explique Mme Létourneau.

« Elle n’expose à peu près plus, car elle trouve que c’est trop de trouble par rapport à ce que ça rapporte, mais elle arrive à vendre beaucoup, à bien vivre de sa peinture. Elle était de ceux qui étaient exclus avant. La loi la reconnaît maintenant comme travailleur autonome. »

Et pour la suite ? Le RAAV entend constituer une caisse de retraite pour les artistes qu’il représente, constituée essentiellement d’une contribution des diffuseurs — un point important à discuter lors des négociations. Pour piloter celles-ci, Mme Létourneau est allée rechercher ses partenaires lors des négociations menées avec le MBAC : le sculpteur Pierre Tessier, ex-président du RAAV et « négociateur officiel durant les 10 ans où on a eu à se battre contre le MBAC », et l’ancien directeur général Christian Bédard. L’artiste Lana Greben, qui s’intéresse aux esthétiques numériques et qui est diplômée en droit, s’ajoute à cette garde.

Et un filet social pour les artistes visuels ? « Oui. Mais on va laisser passer les trois premières années de négociation, pour voir comment ça se déroule ; parce que c’est gros à organiser et qu’on est trop petits. Il va falloir vérifier, pour ça, si on peut s’associer avec l’Union des artistes. C’est ce qu’on vise, mais on se donne du temps. On ne va pas prendre une bouchée trop grosse au début ; ça ne donne rien, ça risque de tout faire foirer. » À suivre, donc, un pas à la fois.

Une nouvelle subvention aux négociations

Le ministère de la Culture a instauré une nouvelle « Mesure de soutien aux associations visées par la nouvelle Loi sur le statut professionnel des artistes ». Celle-ci vise à soutenir financièrement les associations « pour la mise en place d’un mécanisme de négociation collective » ou pour « enrichir leur vie associative par la réalisation de projets, de réseautage, de recherche et d’analyse ainsi que de développement organisationnel ». Un seul de ces volets pourra être soutenu dans une année financière.

Le programme donne accès à une aide financière pouvant représenter jusqu’à 75 % des dépenses, jusqu’à un maximum de 50 000 $, à condition que le demandeur contribue à 10 % des dépenses, dont 5 % en argent. Ce soutien sera offert jusqu’au 1er mars 2025.



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