Retour en cinq sculptures

Installée en 2021, mais jamais officiellement inaugurée, Sporophores, de Michel de Broin, figure de l’art public montréalais, se découvre au gré d’une déambulation dans un parc d’Outremont à l’ombre de l’Université de Montréal — le nouveau Campus MIL.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Installée en 2021, mais jamais officiellement inaugurée, Sporophores, de Michel de Broin, figure de l’art public montréalais, se découvre au gré d’une déambulation dans un parc d’Outremont à l’ombre de l’Université de Montréal — le nouveau Campus MIL.

Il y a eu pluie de murales en 2022 à Montréal : des monumentales, des hommages à des célébrités… Y compris au bien vivant Yannick Nézet-Séguin, dans Ahuntsic. Cette déferlante de peinture en plein air, dont le point d’orgue aura été la médiatisation du salut à Riopelle par Marc Séguin, pourrait faire croire que l’art public se résume à du 2D sur un mur de briques.

La sculpture, longtemps seule sur le terrain, fait pourtant encore partie des plans de revitalisation urbaine. En 2022, trois oeuvres ont fait leur apparition en lien avec des réaménagements opérés par la Ville de Montréal. Si on ajoute des cas similaires de 2021, on en double le nombre. Signes de renouveau, repères visuels dans le paysage ou points de rassemblement, les sculptures réunies ici demeurent méconnues.

Tuyaux ou champignons

Sporophores, de Michel de Broin, est le meilleur exemple. Installée en 2021, mais jamais officiellement inaugurée, la plus récente oeuvre de cette figure de l’art public montréalais (Révolutions au métro Papineau ou Dendrites sur le boulevard Robert-Bourassa, notamment) se découvre au gré d’une déambulation dans un parc d’Outremont à l’ombre de l’Université de Montréal — le nouveau Campus MIL.

Une aura d’ambiguïté, de mystère même, entoure Sporophores — un champignon ou « la partie visible, le fruit et organe reproducteur d’un réseau souterrain de mycélium », précise par courriel l’artiste. Déjà, l’entité du lieu porte à confusion, entre « parc Pierre-Dansereau » et « promenade Camille-Laurin ». Puis, Michel de Broin n’a pas livré un élément, mais un ensemble de douze sculptures de petite taille — la plus grande fait 1,70 m. Sporophores n’est pas le cliché monumental d’art public.

Ses formes tordues et anthropomorphes, ses rondeurs ou les noeuds qui emmêlent certains de ses tubes rappellent la signature de Broin. Ça tourne souvent, chez lui. Et ça met au jour des réalités sinon secrètes, souterraines. Ces sporophores en bronze, d’un vert oxydé, dessinent une (drôle) de tuyauterie.

« J’imagine les infrastructures souterraines de la ville (égouts, eau, électricité, téléphone, chauffage, communication, fibre optique) comme s’il s’agissait d’un vaste réseau de mycélium, insiste l’artiste. Mes sculptures imaginent donc les “sporophores” émergeant des réseaux souterrains, conservant des éléments techniques et prenant des formes organiques, mi-animales, mi-humaines. »

Zéro statue

Il y a lieu de croire qu’un réseau de sculptures publiques plus sobres a pris place en 2021 et 2022. Entre les lignes pas toujours droites de Michel de Broin et les arcs et ovoïdes qui ont poussé de Rosemont au Vieux-Port, l’esprit est à la suggestion, aux percées visuelles. Poids lourds, formes massives, propositions littérales n’y figurent pas.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Leurs effigies» (2021) de Yann Pocreau

Même dans le cas d’oeuvres hommages et monumentales, le discours reste ouvert. Leurs effigies (2021), de Yann Pocreau, peut-être l’oeuvre la plus connue parmi les récentes commandes municipales, salue trois fondatrices de Montréal non pas par leurs portraits, mais par des structures aériennes reprenant sommairement leur identité religieuse. Son emplacement, au Grand Quai du Port de Montréal, lui donne sa facture bienveillante et accueillante.
 

Autre hommage, celui-là à la communauté ukrainienne de Montréal, Entrelacs, de Giorgia Volpe, prend place au parc de l’Ukraine, dans Rosemont. Née d’un concours lancé en 2020, bien avant la guerre qui a mis le pays slave sur toutes les lèvres, la sculpture s’apparente à un oeuf, objet d’offrande dans la culture ukrainienne. Elle a été réalisée avec la collaboration du groupe ciblé, à l’instar d’autres oeuvres de la collection municipale (L’arc de Michel de Broin, par exemple, réalisée en 2009 sous l’initiative de la communauté chilienne).

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Entrelacs» de Giorgia Volpe, hommage à la communauté ukrainienne de Montréal

Il faut en faire le tour pour constater qu’Entrelacs, formée de rubans entrelacés plutôt que de parois fermées, multiplie les points de vue. Elle incite dès lors à un rapprochement entre tous, Ukrainiens ou pas. Et prend une grande valeur dans le contexte actuel.

Présent écho du passé

Monumentale, aérienne et pourtant potentiellement imperceptible, Renouée, de Nadia Myre, se dresse sur un îlot vert à l’angle de la rue Laurier et du chemin de la Côte-Sainte-Catherine. Même si les piétons y sont rares, cette structure en bronze appelle à s’en approcher pour constater que ses éléments sont soigneusement noués les uns aux autres.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Renouée» de Nadia Myre

De loin, elle s’apparente à un tipi, ou plutôt à l’armature d’une tente dont le revêtement se serait envolé. De près, elle rassemble davantage à un filet, outil indispensable chez les Premières Nations, mais pas seulement. Nadia Myre, Montréalaise d’origine algonquine, a voulu évoquer à la fois le chemin emprunté avant l’arrivée de Jacques Cartier et le croisement des cultures qui a pris et prend encore place.

« Le présent fait écho du passé, énonce-t-elle dans son texte de présentation. Montréal est toujours un site où cet échange, maintenant d’ampleur internationale, constitue encore une part prévalente de l’identité de la métropole. L’utilisation d’un filet englobe cette diversité culturelle. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Réciprocités» de Marie-Michelle Deschamps

Dans Griffintown, autre proposition monumentale et aérienne, mais peu envahissante, Réciprocités, de Marie-Michelle Deschamps, réunit aussi les époques. Ancrée dans la nouvelle place des Arrimeurs, à l’angle des rues Ottawa, William et Guy, cette première expérience en art public d’une artiste connue pour ses oeuvres épurées répond avec élégance au programme annoncé par la Ville, celui de « requalifier un secteur industriel en un nouveau quartier innovant ».

Première oeuvre de quatre réalisées dans le cadre du Plan de développement de l’art public pour le corridor culturel de la rue Ottawa, Réciprocités comporte plusieurs éléments, dont trois tubes en acier arqués. Évocation poétique d’un chantier naval, l’ensemble est complété par une pièce florale, au sol, rappelant l’asclépiade, plante indigène précieuse autant hier qu’aujourd’hui, à la fois pour les scientifiques et pour les papillons monarques.

Ces oeuvres, dont le coût total dépasse les 2 millions de dollars, prouvent que l’art public peut encore rassembler et évoquer une multitude de réalités et n’est pas redevenu la célébration d’individus issue à l’époque victorienne.

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