«Imaginaires souverains»: l’effervescence autour d’une communauté

Oeuvres de Gelsy Verna dans l'exposition « Imaginaires souverains » à la maison de la culture Janine-Sutto
Photo: Jean-Michael Seminaro Oeuvres de Gelsy Verna dans l'exposition « Imaginaires souverains » à la maison de la culture Janine-Sutto

Nommée commissaire en résidence à la Maison de la culture Janine-Sutto pour 2022, Dominique Fontaine propose, comme point final à son année, l’exposition Imaginaires souverains. Avec quinze artistes d’origine haïtienne (des peintres surtout), le programme est si vaste qu’un volet est aussi présenté à la galerie Hugues Charbonneau. Dominique Fontaine nous en parle.
 

Pourquoi une exposition d’artistes d’origine haïtienne ?

C’est qu’une nouvelle génération s’impose, est représentée par des galeries privées comme Hugues Charbonneau et [ses oeuvres sont] collectionnées. L’idée était de montrer cette effervescence. Les artistes d’origine haïtienne qui pratiquent à Montréal, il y en a toujours eu, mais il y a eu une grande lenteur pour les reconnaître.

Fallait-il réparer une injustice ?

Non, pas du tout, bien que mon travail de commissaire puisse ressembler à celui d’activiste, parce que je m’intéresse à des questions qui sortent des sentiers battus. Je ne suis pas en croisade. Je le fais parce qu’il m’apparaît important de montrer ces artistes. Leur travail change notre perception du monde, nous ouvre les yeux.

Beaucoup d’oeuvres sont teintées d’onirisme, de spiritualisme, de culture vaudoue. Est-ce le point commun à ces artistes ?

Il y en a beaucoup qui s’inspirent du vaudou, une religion, une philosophe liée aussi aux sources naturelles. Prenez par exemple Clovis-Alexandre Desvarieux et son oeuvre Legba L’Ouverture. Legba, dans la culture vaudoue, est le dieu qui ouvre les portes. Marie-Hélène Cauvin, elle, s’intéresse aux contes, aux mythologies, mais pas au vaudou. Son travail contient de l’onirique, mais ce n’est pas ce qui le définit. Elle a un propos sur le monde contemporain, sur la violence, les gangs. Il ne faut pas cantonner les artistes dans un seul registre. C’est ça, l’exposition, une multiplicité d’imaginaires.

Peut-on parler d’art haïtien ?

Non, non. C’est de l’art contemporain, réalisé par des artistes qui ont des origines haïtiennes. Ils puisent dans cette encyclopédie visuelle qu’est Haïti, avec une tradition qui date de 1804, l’année de l’indépendance. Mais ils créent en dialogue avec Montréal, ou sont influencés par elle. Et ils s’expriment sans se soucier de contextes contraignants.

Quel était l’objectif de l’exposition ? Nous faire découvrir ces artistes ?

Dans le cas de Gelsy Verna, qui est décédée en 2008 et qui n’a pas eu de représentation, il fallait la révéler. Mais la mission de l’exposition était de saluer les artistes. Je n’utiliserais pas le mot « découverte », parce qu’il a une connotation colonialiste. Découvrir, c’est comme si ces artistes étaient cachés. Non, ils sont là, ils existent. On ne peut pas découvrir Manuel Mathieu ni Clovis, qui exposent à l’étranger. On ne peut pas découvrir Stanley Février, qui vient d’être finaliste pour le prix Sobey. Ils ont produit constamment des expositions. Si [les gens] ne s’y sont pas intéressés, ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas existé.

Depuis quelques années, Manuel Mathieu connaît un grand succès. Est-il devenu incontournable ?

Il fait partie de cette scène qui émane de la communauté haïtienne de Montréal. On n’aurait pas pu faire l’exposition sans lui. Il est le premier artiste noir canadien à avoir eu une exposition individuelle au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Il ouvre des portes aussi en créant un fonds pour [stimuler l’acquisition] d’oeuvres… S’il y a autant d’intérêt pour des artistes des communautés ethnoculturelles, c’est grâce à des personnes comme Manuel.

Vous étiez l’une des commissaires de l’exposition Nous sommes ici, d’ici. L’art contemporains des Noirs canadiens (MBAM, 2018). Vous vous dites activiste. Votre travail consiste à manifester ?

Mon travail ne m’amène pas à manifester dans la rue. C’est un travail où je dis qu’il y a un manque, des angles morts, des trous dans notre histoire de l’art, dans notre culture visuelle au Canada. Il faut faire des projets qui remettent tout ça en question et qui le réécrivent.

Est-ce que le mouvement Black Lives Matter a aidé à faire évoluer les mentalités ?

Oui, absolument. C’est à partir de ce moment qu’on a commencé à faire des statistiques : combien d’artistes noirs, autochtones ou des communautés ethnoculturelles sont « collectionné s», combien siègent à des conseils d’administration… Ça a poussé à changer d’attitude. À prendre le bon train.

La galerie Hugues Charbonneau représente déjà des artistes des communautés noires, pas seulement haïtienne (Mathieu, Desvarieux, Moridja Kitenge Banza). Pourquoi exposer aussi là ?

J’ai déjà fait la blague à Hugues qu’il représentera bientôt tous les artistes haïtiens. Stratégiquement, c’était important, car les galeries privées ont un lien avec les collectionneurs et les musées. Il faut permettre aux artistes qui n’ont pas encore de représentation d’entrer dans les grandes collections. Pas un ou deux artistes. Quinze. Hugues Charbonneau ouvre la porte vers une reconnaissance plus grande.

Imaginaires souverains

À la Maison de la culture Janine-Sutto et à la galerie Hugues Charbonneau, jusqu’au 15 janvier

À voir en vidéo