L’expo qui pourrait ne pas vous choquer

Les 50 ans qu’Evergon a passés à photographier « sa vie » se retrouveront au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). L’exposition Théâtres de l’intime, signée Bernard Lamarche, conservateur de l’art actuel, réunira 230 oeuvres. Le programme s’annonce épique, et non seulement en raison du nombre d’images.
Pince-sans-rire, l’artiste, né en 1946 à Niagara Falls, résume sa première grande rétrospective par une boutade : « Certaines images pourraient ne pas vous choquer. » Par le portrait — et l’autoportrait —, le paysage, la nature morte, et au moyen de différents procédés (photo en studio, collage, Polaroïd, hologramme), formats et de références à l’histoire de l’art et à la culture gaie, Evergon a fait du corps, de la nudité et des rapports sexuels ses thèmes. « Il y aura des oeuvres difficiles, reconnaît l’artiste. Elles auront leur propre salle. Vous aurez le choix de les voir ou non. » Et il ajoute : « C’est le spectateur qui décide si une oeuvre est provocatrice. »
Le titre de l’expo évoque l’intimité, car les photos d’Evergon sont des lettres d’amour. Il les adressait à sa flamme du moment, à des amis ou à sa mère. En travaillant avec elle — la touchante série Margaret and I (2003) —, l’artiste a constaté le vieillissement des corps, y compris le sien.
À la question « Y a-t-il un fil conducteur ? » l’homme répond spontanément : « Moi. » Son oeuvre et sa vie — « sa vie d’amant », précise-t-il — sont intrinsèquement liées. « [Ma pratique] est une fenêtre sur mon monde. La fellation ou d’autres actes sexuels, c’était mon monde », dit-il.
En le rencontrant chez lui, dans le quartier Sainte-Marie, à Montréal, on constate qu’il n’est pas obnubilé par sa personne. Ses murs sont recouverts d’oeuvres d’autres artistes. « Mes étudiants », dit l’ex-professeur de Concordia en pointant des photos de Sara A. Tremblay et de Darren Ell.
Evergon est issu des années de lutte pour l’égalité des homosexuels, puis de celles où « on a arrêté de vouloir être comme les autres, [où] on a voulu être nous-mêmes ». Ces revendications habitent son oeuvre. « L’expo est celle d’un politicien et d’un artiste », clame celui qui juge avoir mené une carrière politique. Non sans choquer, même son milieu.
C’est par besoin d’authenticité qu’Evergon a adopté la photographie, discipline reine, à son avis, pour parler de vérité — et de son contraire. « [La photographie] permet de jouer avec la vérité, avec des non-vérités, d’en fabriquer, de faire croire que c’est réel. C’est un pouvoir que la peinture et le dessin n’ont pas. »
En 50 ans, il s’en est fabriqué, des vérités. Tellement que l’exposition du MNBAQ n’en montrera, assure-t-il, que la pointe de l’iceberg. C’est de son sous-sol qu’il a extrait l’essentiel, aidé par l’artiste et critique Didier Morelli. L’expo a pris forme ainsi, en temps de pandémie, avec le conservateur du musée coincé à Québec. « Bernard [Lamarche] voulait absolument l’image avec le chien [Kiev, de la série Chez moi, 2006]. Je voulais la fellation », raconte-t-il en riant.