L’art de sensibiliser à la biodiversité

L’événement, qui en est à sa troisième édition, est composé d’une exposition collective d’art actuel dont le commissariat a été assuré par Marie Perrault.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’événement, qui en est à sa troisième édition, est composé d’une exposition collective d’art actuel dont le commissariat a été assuré par Marie Perrault.

Les artistes qui pratiquent l’horticulture, vantent les herbes dites mauvaises, documentent des lieux sauvages… Cet été, ils sont à l’honneur à Laval, alors que l’exposition Interrègnes, titre de la troisième édition de la Triennale Banlieue !, met en valeur la nature dans son état premier.

Si les questions environnementales sont déjà incontournables, le « vivant »semble désormais s’imposer. Les expositions qui intègrent des plantes et autres spécimens de la flore ou de la faune se succèdent sans cesse. Elles reflètent le besoin urgent de changer nos rapports avec la nature. Interrègnes est du lot.

« C’est une excellente occasion de sensibiliser », juge Anaïs Boutin, une biologiste approchée par les organisateurs pour participer à une table ronde à la mi-août. « Les enjeux environnementaux, ça peut finir par être un peu, je n’ose pas dire, déprimant… Ça devient lourd. Par l’art, on peut les regarder avec des lunettes positives. »

Portée avec rigueur depuis 2015 par la Maison des arts de Laval et sa « régisseuse arts visuels » Jasmine Colizza, la Triennale Banlieue ! se présente cette fois sous des airs écologiques. Forte de 19 artistes et de nombreux points d’ancrage sur l’île Jésus, y compris dans le quartier Saint-François, riche en champs agricoles et en boisés, l’exposition relève les formes que prend la nature en milieu suburbain.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La Triennale Banlieue! réunit 19 artistes ou duos d’artistes du Québec, du Canada et de la France dont les démarches font écho à la place de la nature dans les banlieues nord-américaines.

La commissaire d’expérience Marie Perreault a conçu ce programme impossible à ne pas rapprocher de ceux de la biennale montréalaise Momenta (version 2021) et de la triennale Orange, toujours en cours à Saint-Hyacinthe. Être à l’écoute de la nature,la donner en exemple ou, mieux, la prendre en compte sont des traits communs à ces expositions qui proposent de s’éloigner de la vision anthropocène du monde.

Arts et sciences

 

Manifestation basée sur le rejet d’a priori — ceux sur la banlieue —, la triennale lavalloise explore ses thématiques liant les arts visuels à d’autres disciplines. Après la littérature et le théâtre, c’est au tour de la géographie (ou la biologie) d’en être l’invitée.

« On a présenté la production aux scientifiques », dit Marie Perreault, qui a confié au commissaire, Yan Romanesky, un géographe proche du milieu artistique, le soin de monter un comité scientifique. « Leurs préoccupations étaient en écho avec celles des artistes, mais soulignaient d’autres choses, amenaient d’autres solutions. »

Anaïs Boutin fait partie du comité. La biologiste travaille depuis 15 ans près de la rivière des Mille-Îles et a fait de la qualité de l’eau son champ de bataille. Ce qui la mène à défendre les milieux humides, et aussi Laval, en tant que territoire emblématique de la biodiversité.

La rivière, selon un défunt club nautique

Plus de 30 activités se greffent à l’exposition Interrègnes. Parmi elles, une table ronde autour des lieux humides, de l’eau et des berges réunira artistes et scientifiques à l’Éco-Nature du parc de la Rivière-des-Mille-Îles. Elle sera précédée d’ateliers de création, d’une promenade sonore et de la projection du documentaire Au pays des Mille-Îles, réalisé par Lisa Sfrizo à partir des archives d’un défunt club nautique. Le 14 août.

« Les gens ne se rendent pas compte que nos banlieues sont l’endroit dans la province où il y a la plus grande diversité d’espèces. Elle ne se trouve pas dans le parc du Mont-Tremblant ni plus au nord. C’est au sud [du Québec] qu’on peut faire le plus de gains en termes de conciliation humain-nature, mais aussi dans la planification de nos habitudes », dit celle qui qualifie la tonte de pelouses de « manucure » de l’aménagement.

L’ex-Montréalaise ne manque pas d’arguments pour valoriser les marécages. Or, « les nids à moustiques », précise-t-elle, sont en voie de disparition. Le travail de terrain effectué par Ariane Plante dans un milieu humide de Laval l’a ravie. Son oeuvre se décline en une collection de sons et d’images — des cyanotypes imprimés directement sur les lieux, sans qu’une feuille soit arrachée. « Je cristallise un milieu fragile, touché par le développement, dit l’artiste, qui a voulu documenter la cohabitation. Le boisé est entouré de champs, de fermes, d’un terrain de golf… Beaucoup des sons n’appartiennent pas à l’écosystème naturel. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Manifestation basée sur le rejet d’a priori — ceux sur la banlieue —, la triennale lavalloise explore ses thématiques liant les arts visuels à d’autres disciplines. Après la littérature et le théâtre, c’est au tour de la géographie (ou la biologie) d’en être l’invitée.

Arbres, friches et virevoltants

Vieille comme l’histoire de la peinture, la représentation de la nature n’a jamais semblé aussi distante du passé qu’avec le topo proposé à l’extérieur de la Maison des arts (involontairement ?) par la Triennale Banlieue !.

On y trouve des sculptures pittoresques, en pierre calcaire, issues du symposium Inspiration nature tenu par le diffuseur municipal en 2008. Près de trois d’entre elles, dans le cadre de la triennale, une discrète installation sonore du collectif Scenoscome invite à enlacer un arbre et à ressentir sa respiration. « Cette expérience corporelle de l’arbre fait prendre conscience de son physique, de sa grosseur, de sa texture », dit Marie Perreault, qui a placé les boîtes sonores du collectif français dans six parcs de Laval.

Les gens ne se rendent pas compte que nos banlieues sont l’endroit dans la province où il y a la plus grande diversité d’espèces

Les nouveaux comportements sont aussi véhiculés par une autre intervention extérieure toute en plantes signée Deborah Margo.

Dans l’esprit du concept de tiers paysage du paysagiste français Gilles Clément, elle a fait d’un espace gazonnéun gîte pour les mauvaises herbes. « Dans un terrain vague, le sol est extrêmement fertile, avec son propre écosystème, commente Anaïs Boutin. Les friches, non protégées par des règlements, contrairement à la forêt et aux milieux humides, sont les premières à être développées. Elles sont pourtant d’une richesse incroyable — des oiseaux ne vivent que pour elles, des papillons, plein d’espèces. Il faut accepter que des mauvaises herbes, ce ne sont pas que des mauvaises herbes. »

En salle d’expo, la monoculture est ciblée plus d’une fois, notamment dans le collage image par image de résidences et de leur pelouse, comme proposé par Marie-Suzanne Désilets, et dans les grandes photographies de forêts brûlées d’Andreas Rutkauskas.

La relation tordue et artificielle avec la nature est signalée par Catherine Lescarbeau, dont l’intervention repose sur un échange avec le Centre Laval : à la Maison des arts, des plantes en plastique ; au carrefour du magasinage, des photographies reproduisant le décor disparu.

Il n’y a pas que de l’amertume. L’humour est présent avec les outils d’oiseau imaginés par le duo Ibghy & Lemmens ; le féerique, avec les virevoltants d’herbes filmés par Louise Noguchi ; le ludique, avec l’installation interactive et bruyante de Ludovic Boney. Celle-ci, placée au début du parcours, s’offre comme une métaphore de nos comportements vis-à-vis de la nature. Comme le signale l’auteur de ce sentier bordé de sacs en plastique, « on le traverse sans être conscient de notre impact, et ça prend un spectateur qui nous dit ce qu’on a fait ».



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