«proximité · plaisir · plasticité»: trois questions à Emma-Kate Guimond

La performeuse native d’Edmonton, établie à Montréal depuis 2005, s’entretient au sujet de l’exposition «proximité · plaisir · plasticité». Regard sur la performance qu’elle présente en tant que commissaire.
L’exposition proximité · plaisir · plasticité. Regard sur la performance parle d’un « moi virtuel », mais paradoxalement, des œuvres montrent des individus exposant aussi leur intimité bien réelle… Comment s’articulent ces deux mondes ?
Le moi virtuel n’est pas seulement actif dans un environnement virtuel. Dans Identity Templates for a Disordered Body (2022), Francisco Gonzáles-Rosas incarne une sorte de syntaxe Internet par son costume et son discours. Alone With the Cat in the Room (2018), de Wan Yi Leung, documente un contact de corps à corps, mais l’artiste a rencontré son participant sur la plateforme SugarDaddies. C’est l’interaction de leur « profil » qui a donné lieu à l’œuvre. De nombreuses œuvres présentées abordent Internet comme un moyen de nouer des relations réelles. Brown Shades of Black (2021) de NIC Kay souligne comment Internet est un véritable espace qui permet le partage de pratiques de danse entre créateurs noirs.
Vous écrivez que la performance actuelle ne correspond plus aux approches auxquelles elle a été associée — minimaliste ou en quête d’authenticité. Quand et pourquoi la performance s’est-elle transformée ?
Le minimalisme en art performatif qui a surgi, entre autres avec Fluxus et Judson Dance Theatre, n’a jamais disparu et le maximalisme fait partie de l’histoire de la performance. Cependant, de nombreux artistes refusent ces esthétiques épurées, minimales. Le discours pince-sans-rire de Lisa Smolkin dans Life’s lil Bitch (2019) est sincère et important. De nombreux artistes, dans l’urgence, ne peuvent plus se permettre cette distance que soutenait une approche minimaliste. Plusieurs sentent qu’il est temps de dire ce qu’ils ont à dire, d’entrer dans des versions audacieuses d’eux-mêmes, et cela passe souvent par l’ostentatoire. Le mot « version » est essentiel, car le moi est fluide. Idéaliser l’authenticité, de même que le naturel, peut être problématique puisqu’il n’y a pas qu’une seule bonne façon d’être. Non seulement ces idéaux oppriment la différence, mais ils limitent les possibilités. Nombre d’artistes queers, BIPOC et autochtones s’appuient sur une esthétique fantaisiste pour façonner des futurs espérés. Se projeter, s’imaginer grâce à la théâtralité : voilà leurs outils.
Peut-on associer la notion de performativité évoquée aux idées de Judith Butler sur le genre ?
La performativité est omniprésente dans la vie quotidienne ainsi qu’à travers les pratiques artistiques intégrant l’image. Le pouvoir peut être décentralisé en réorientant ou en compliquant les définitions de l’identité attendues et imposées par la société. Il va sans dire que les différentes versions du moi, la perméabilité entre le monde virtuel et la « vraie » vie sont de formidables agents de changement !