Marbre, intimité et constante quête de sens

Vue de l’exposition «Thinking Inside the Box», de Barry Allikas
Photo: ean-Michael Seminaro /  Guy L’Heureux /  Guy L’Heureux Vue de l’exposition «Thinking Inside the Box», de Barry Allikas

Une petite teinte rétro vibre à l’intérieur de l’édifice Belgo (372, rue Sainte-Catherine Ouest), et en particulier aux 3e et 4e étages de cet édifice, qui demeure, malgré tout, un incontournable de l’art actuel à Montréal. En trois expositions, toutes en fin de parcours, faut-il le préciser, l’hier et l’aujourd’hui se confondent, s’entrechoquent. L’une d’elles est portée par la sculpture (et la matière des années 1980), une deuxième par la peinture (et le formalisme des années 1960) et la troisième par la photographie (et le noir et blanc des années 1970). Survol.

Marie-France Brière :s’extirper du marbre

Au centre Skol, Marie-France Brière propose ce que d’aucuns pourraient qualifier, avec à-propos, de jardin de sculptures : la salle est occupée de quatre ou cinq ensembles massifs, sans être monumentaux. On déambule autour d’eux avec l’impression de visiter des œuvres d’un certain âge.

Connue davantage pour ses œuvres d’art public que pour ses expositions en galerie (dans son curriculum, les premières sont deux fois plus nombreuses que les secondes), l’artiste est active depuis les années 1980. À l’époque, elle avait passé un bon moment en Italie, d’où elle était revenue avec des blocs de marbre blanc de Carrare. Sa signature est, depuis, indissociable de la prestigieuse roche.

Or, à l’ère de l’anthropocène, le marbre est une sorte de bombe à retardement, tant son extraction fragilise la planète. Des titres d’œuvres (Blocs erratiques, Esker) rappellent d’ailleurs des phénomènes naturels liés à la transformation du paysage. Dans cette expo évoquant l’austérité, Marie-France Brière fait du jadis noble matériau le symbole d’un système économique et politique vorace. Le marbre, si pur, si lisse, si solide, ne touche plus le sol, immatériel presque. Il est placé en rupture plutôt qu’en symbiose avec les autres matériaux.

Sur un mur, une série de mots complète cette exposition dans laquelle les grandes certitudes n’existent pas. Fabrication, permanence, effritement… Photographiés comme des plaques funéraires, ces termes qu’on pourrait associer à la sculpture semblent avoir eux aussi perdu leur autorité.

Barry Allikas : la libertéde la contrainte

Considérer que des restrictions, sanitaires ou pas, privent de liberté, comme l’a hélé une certaine caravane au cœur de l’hiver, est un point de vue que ne partage pas l’artiste Barry Allikas. Sa contrainte à lui, une surface à peindre, est un puits de créativité, ce dont rend compte l’exposition à la galerie McBride Contemporain. Ajoutez à cette limite spatiale, le poids de l’histoire de l’abstraction géométrique, puis le confinement imposé en période de pandémie, et vous avez un étonnant ensemble de tableaux réalisés en 2021 et 2022.

Barry Allikas a délaissé la peinture plus organique qu’il avait faite sienne et propose des compositions plus rigides, portées par la répétition des bandes verticales et l’alternance des couleurs. À la manière d’un Guido Molinari et de toute une tradition du hard edge.

La tension est évidente entre le contenu et le contenant. Peindre en 2022 est une constante quête de sens. On peut bien voir ce que l’on veut dans ces toiles, les barreaux d’une prison ou une superposition de carrés, mais un peintre abstrait peut-il éviter de faire de la représentation, de repeindre l’abstraction ?

La liberté de l’artiste, tout comme celle des yeux qui regardent ses œuvres, n’a heureusement pas de limites. Bien plus qu’une affaire d’évolution, l’histoire de la peinture est une histoire de rebondissements. À 70 ans, audacieux, Barry Allikas en tire parti.

Lynne Cohen : retoursur ses débuts

Figure chérie de la photographie couleur par laquelle elle s’attardait à révéler de grands espaces institutionnels, Lynne Cohen (1944-2014) réalisait, dans ses premières années de pratique, des images plus intimistes. C’est ce qui ressort des retrouvailles que propose la galerie Laroche/Joncas.

En 14 photographies noir et blanc, des petits formats et l’objectif tourné vers des espaces privés, ce retour aux années 1970 s’apparente à une plongée dans l’atelier de l’artiste. On est devant les prémisses d’une œuvre appelée à se développer, avec, déjà, les grands paramètres : lignes architecturales fortes, mobilier très singulier, décors excentriques et cette teneur vintage qui fera la signature Cohen.

Pilotée par Andrew Lugg, responsable de la succession de l’artiste, la sélection d’images comporte surtout des tirages de l’époque. Loin d’être une vente de feu, l’exposition est en accord avec le grand intérêt que l’art porte actuellement aux archives. Ces premières œuvres de Lynne Cohen, réalisées alors que la couleur n’était pas encore une approche bienvenue en photographie, sont, dès lors, des petits bijoux nés dans un laboratoire en plein développement. Elles nous invitent, à l’instar de cette prise électrique photographiée sur un mur nu, à revenir à l’essence.

La pression austéritaire

Marie-France Brière. Au centre des arts actuels Skol, jusqu’au 16 avril.

Thinking  Inside the Box

Barry Allikas. À McBride Contemporain, jusqu’au 16 avril.

Lynne Cohen Les années 1970

​À la galerie Laroche/Joncas, jusqu’au 16 avril.

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