Les musées reprennent des couleurs

Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a été fermé 275 jours depuis mars 2020.
Photo: Idra Labrie Musée national des beaux-arts du Québec Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a été fermé 275 jours depuis mars 2020.

La valse des tourniquets reprend. La fréquentation de la plupart des grands musées du monde repart à la hausse depuis l’an dernier, sans pour autant réussir à effacer la grande perte sèche de visiteurs par rapport à la dernière année prépandémique.

Les 100 plus grands musées du monde totalisaient 71 millions de visiteurs en 2021 par rapport à 54 millions en 2020. En 2019, les mêmes 100 grands musées avaient attiré 230 millions de personnes, selon les données colligées et publiées fin mars par la publication spécialisée Art Newspaper.

Le Musée des beaux-arts de l’Ontario est le seul établissement muséal canadien à figurer dans ce palmarès. Il arrive en 93e position avec 321 664 visiteurs en 2021, une hausse de 65 % par rapport à l’année précédente.

Les établissements québécois consultés suivent la même tendance avec des pertes de visiteurs d’environ 30 % l’an dernier par rapport à 2019. La chute oscillait en gros autour des deux tiers en 2020.

L’été montrera si la tendance haussière se maintient autour de la dynamique du tourisme intérieur et extérieur. La haute saison estivale 2021 avait distingué deux phénomènes liés aux fluctuations touristiques au Québec : les musées des régions ont alors bénéficié de la manne des visiteurs venus des grands centres, tandis que les grands musées de Montréal et de Québec (comme ceux du palmarès mondial) ont subi cet effet à l’inverse, doublé de manière négative par la faiblesse des visiteurs étrangers.

« Le tourisme intérieur a sauvé la mise l’été dernier », résume Stéphane Chagnon, directeur de la Société des musées du Québec (SMQ), qui rappelle que deux régions (le Bas-Saint-Laurent et la Basse-Côte-Nord) ont même vu gonfler leurs fréquentations estivales en 2021 davantage qu’en 2019. « On espère que le tourisme québécois va encore bénéficier aux musées des régions et que les touristes hors Québec et internationaux vont revenir dans les grands centres. »

Le musée Pointe-à-Callière de Montréal a enregistré au premier trimestre 2022 « une remontée encourageante » de sa fréquentation par rapport à 2020-2021. « Au cœur de la pandémie, nous accueillions environ 30 % de notre clientèle de 2019. Aujourd’hui, nous avons retrouvé près de 60 % de notre fréquentation de 2019 », écrit au Devoir Nora Charifi, chargée des communications du musée d’histoire et d’archéologie. Elle ajoute que les années 2018 et 2019 ont été exceptionnelles en matière de fréquentation pour Pointe-à-Callière.

L’établissement mise sur VIKINGS. Dragons des mers du Nord et sur le retour des visiteurs étrangers pour refaire le plein aux tourniquets. « Compte tenu de la levée des restrictions pour les voyageurs étrangers, nous espérons retrouver un public touristique absent ces dernières années de pandémie, explique Mme Charifi. En effet, avant la pandémie, 60 % de nos visiteurs étaient des visiteurs internationaux. Alors, nous sommes enthousiastes pour l’été 2022 ! »

Le Musée d’art de Joliette se veut tout aussi optimiste. « Avec la reprise des activités à plein rendement, nous avons confiance de retrouver le rythme de croisière d’avant la pandémie et même de la dépasser, dit Julie Armstrong-Boileau, responsable des communications et du marketing de l’établissement. La demande est là. Il suffit d’arrimer nos offres culturelles aux besoins des publics, qui ont évolué depuis la pandémie, et avec la reprise, qui provoque un pullulement d’offres et donc d’offres souvent plus nichées. »

Quatre-vingt-six années perdues

 

La pandémie n’était pas moins létale l’an dernier qu’en 2020 : il y a eu en fait plus de morts alors qu’à la première année de la crise sanitaire. En général, les établissements muséaux sont pourtant restés ouverts plus longtemps en 2021 et le secteur, comme ses clientèles, a appris à supporter l’inéluctable. Plus du quart (28 %) des répondants au sondage mondial a tout de même perdu des visiteurs en 2021 par rapport à 2020.

Au cours de ces deux années malheureuses, les 300 musées qui ont répondu au sondage mondial ont été fermés pendant 31 000 jours, soit l’équivalent de 86 années. En moyenne, chaque établissement est resté inaccessible 106 jours en 2021, par rapport à 145 en 2020. Le Centre des sciences de Montréal a été fermé six mois en 2020 et huit mois en 2021.

Comme dans bien d’autres secteurs, ces années de crise ont aussi ébranlé certaines habitudes et forcé des mutations.

« Nous avons créé des vernissages qui n’avaient de vernissage que le nom, c’est-à-dire que dans le respect des normes sanitaires, nous avons accueilli les publics et les artistes lors de journées de lancement des expositions, mais avec des réservations de visites horodatées afin de respecter la distanciation et la limite de capacité (et les discours prenaient plutôt la forme de mots imprimés et remis à l’arrivée), explique la porte-parole du Musée d’art de Joliette. Ces événements lançaient un signal fort que, même en veillant à la sécurité sanitaire, il était possible de reprendre la fréquentation de lieux culturels. »

L’établissement a lancé l’initiative Musée en quarantaine, en mars 2020. La plateforme participative (toujours active) invite la communauté à créer des œuvres en fonction d’une thématique mensuelle. « Cette plateforme constitue également un laboratoire qui nous permet de tester différentes manières de mettre en relation les publics, les artistes et les professionnels muséaux », explique Mme Armstrong-Boileau en ajoutant que Musée en quarantaine a permis de créer le premier balado de son musée.

Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a été fermé 275 jours depuis mars 2020. La reprise se pointe, mais avec des précautions persistantes. « On sent une certaine prudence chez nos visiteurs depuis la cinquième vague , note Linda Tremblay, responsable des relations de presse de l’établissement. Ces derniers continuent de fréquenter notre musée, mais leur passage est étalé dans le temps, soit durant toute la durée d’une exposition nouvelle ou encore sur des heures plus étendues dans une même journée par exemple. […] Les habitudes de nos visiteurs sont encore influencées par la pandémie. »

L’étranger proche

L’avantage de l’attention particulière portée à la clientèle locale se confirme partout. Le Virginia Museum of Fine Arts de Richmond, aux États-Unis, a reçu 411 000 personnes en 2021, 58 % de plus qu’en 2020 et à peine 19 % de moins qu’en 2019. Cette réussite impressionnante dans le très difficile contexte s’explique par la faible dépendance de l’établissement au tourisme international et à une politique de fréquentation énergique qui comprend une ouverture des salles tous les jours de l’année (oui, y compris à Noël et au jour de l’An) qui s’est maintenue en 2021, l’entrée gratuite et une programmation misant sur des valeurs éprouvées, dont une expo sur les trésors de l’Égypte ancienne (Treasures of Ancient Egypt: Sunken Cities).

Le directeur de la SMQ prédit que ce souci du visiteur local ou régional va caractériser la muséologie des prochaines années. « Les musées ne peuvent plus négliger les publics rapprochés, dit M. Chagnon. Les publics québécois ont sauvé la mise pour les musées du Québec. Il ne faut pas les perdre de vue. »

Le secteur va aussi composer avec une diminution importante des collaborations internationales. La muséologie de cet été et des prochaines années pourrait faire moins de place aux blockbusters estivaux et privilégier un retour aux collections nationales ou de l’étranger proche.

« La donne a changé, dit le directeur de la SMQ. Les emprunts à l’étranger qui nécessitent des ententes internationales, des frais de transport et d’assurance maintenant exorbitants, affecte le modèle tablant sur une fréquentation de masse pour rentabiliser des investissements importants. On s’oriente vers des expositions qui mettent plus en valeur les trésors de nos collections nationales ou faire des emprunts sur un axe plus Nord-Sud qu’Est-Ouest. »

Le MNBAQ y va d’une proposition mixte pour la suite des choses en attendant la création du nouvel Espace Riopelle en 2025. Cet été, l’exposition America. Entre rêves et réalités propose un regard sur la créativité américaine depuis 1920, avec plus de 80 artistes et plus d’une centaine d’œuvres en partie empruntées.

« L’expo devrait séduire tant nos membres, les visiteurs de passage que la clientèle touristique, qui va certainement être en forte hausse cet été avec la réouverture des frontières », prédit Mme Tremblay. À l’automne, l’exposition Evergon, une rétrospective consacrée à une icône canadienne, « devrait amener une clientèle différente au MNBAQ », ajoute la porte-parole, puisque les œuvres rassemblées abordent des thèmes très actuels, dont la diversité culturelle, corporelle et identitaire.

Le péril jeune

Les musées de France ont fermé pendant une année au total depuis le début de la pandémie, un triste record en Europe. L’achalandage des mastodontes muséaux de Paris a en plus été saigné par la disparition des mannes de touristes. Le Louvre n’a reçu « que » 2,8 millions de visiteurs l’an dernier, par rapport à 10 millions en 2018. Le plus célèbre musée du monde s’est pourtant estimé chanceux dans le contexte. Versailles et Orsay ont aussi perdu les deux tiers de leurs visiteurs. Au total, la fréquentation des établissements du pays a chuté de 72 % en 2020 et de 62 % en 2021 par rapport à 2019. L’État a compensé les pertes de revenus en injectant près de 800 millions d’euros de fonds supplémentaires dans le secteur muséal, et ainsi permis de maintenir le personnel en place pour la relance.

 

Seulement, les musées doivent composer avec d’autres défis parfois paradoxaux. Un exemple : les jeunes du pays et des pays voisins comptent maintenant pour 45 % des visiteurs du Louvre, ce qui est d’excellent augure pour le futur ; par contre, les moins de 26 ans ont accès aux salles gratuitement et dépensent moins aux boutiques et restaurants, ce qui n’aide pas les revenus autonomes de l’établissement. La tendance au rajeunissement des visiteurs s’observe ici aussi. « Parmi nos publics actuels, nous remarquons une importante croissance des jeunes de 18 à 34 ans ainsi que des familles, alors que le public des aînés a considérablement diminué par rapport aux périodes prépandémiques », dit Nora Charifi du musée Pointe-à-Callières.



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