Art contemporain - Les nouveaux lieux parisiens de l'art

Paris — Les Buttes Chaumont. D'emblée on pense à un magnifique parc entouré d'un quartier parisien typique. Le parc est bien là mais ce quartier du 19e arrondissement dont il est le joyau évoque davantage tours, HLM blêmes et ensembles immobiliers sans âme que visions à la Doisneau ou Cartier-Bresson. C'est ici pourtant qu'un nouveau centre d'art contemporain, le Plateau, s'est ouvert il y quelques mois à peine.

Tout commence en fait en 1995. Stim-Batir, filiale de Bouygues Immobilier, géant du bâtiment et des travaux publics dans l'Hexagone, planifie la construction d'un vaste ensemble de logements sur les trois hectares couvrant les anciens plateaux de production de la télé française: les studios des Buttes Chaumont. Les riverains s'inquiètent. Déjà le quartier a souffert de la spéculation immobilière. Les tours face au parc lui ont fait perdre tout cachet. Éric Corne et une centaine de résidents du quartier se lancent dans la mêlée. Au terme d'une guérilla politico-judiciaire menée tambour battant, le promoteur est forcé de réduire son programme. Moins de béton. Leur association, Vivre aux Buttes Chaumont, obtient aussi que l'on aménage des espaces verts et aussi une garderie — une crèche — pour les enfants. Plus encore. Bouygues doit également octroyer l'équivalent de dix pour cent des surfaces construites à l'établissement d'un futur centre d'art!

Toujours militant, Corne dirige aujourd'hui le Plateau auquel s'est associé le Frac-Île-de-France. Ce Fond régional d'art contemporain collectionne pour l'État et la région des oeuvres contemporaines. Chacun ainsi y trouve son compte. Le Plateau peut ainsi bénéficier d'un budget plus conséquent tandis que le Frac, qui n'avait pas de lieu permanent dans la région parisienne, peut enfin montrer ses oeuvres.

Réaliste, Corne ne s'attend certes pas à ce que, d'un seul coup, tout le quartier se bouscule au portillon. «Nous devons prendre en compte le côté "autiste" de l'art comme de toute création», déclarait-il au critique Stephen Wright (1). Pas question pour autant de proposer, en guise d'appât, une programmation dite accessible. Le lieu, en une sorte «d'agence», se veut au service de la scène artistique, ce qui n'empêche Corne de tisser des liens avec le foyer de travailleurs immigrés voisins, la maison des femmes célibataires et d'autres organismes du quartier. Avec Robert Filiou du mythique groupe des années 60 Fluxus comme première exposition, Corne s'engageait dès le départ envers un art sans concession mais dont l'expression en même temps tient compte de la participation et de cet aspect «social» qui le motive. Place également aux jeunes créateurs et aux jeunes commissaires proches d'artistes tout récemment sortis des écoles d'art. Chaque année, au Plateau, une exposition va mettre en perspective une figure historique de l'histoire de l'art avec la création actuelle. L'exposition consacrée à Robert Filiou se complétait d'un second volet présentant, avec Gordon Matta-Clark, des artistes plus jeunes tels Dana Wyse ou Marie Legros, et ce, à la recherche de «connexions possibles».

Dans ses 600 m2 d'espaces d'expositions, le Plateau présente actuellement jusqu'à la fin août Objets de réflexion, un choix d'oeuvres de la collection du Frac-Île-de-France. La saison reprendra avec Maquis, une exposition réunissant notamment le vidéaste Gary Hill, les panoramas à l'aquarelle d'Yvan Salomone ou les vidéos-performance de Fiorenza Menini.

Original, le Plateau rompt à plusieurs égards avec l'esprit de la démocratisation de la culture issue des années 1950 avec André Malraux et les Maisons de la culture, et amplifiée par Jack Lang. D'abord, il associe différents paliers de subventions — du municipal au régional et au national — à des échanges, des bénévolats et des mécénats en tous genres, et à une volonté activiste. Et ce, dans une France de l'art contemporain largement dominée par «le tout à l'État».

On assiste cependant peu à peu à un renversement. De nouveaux musées parisiens s'associent dorénavant davantage au secteur privé. C'est le cas du Musée Guimet, dédié aux arts asiatiques, qui a renouvelé, après trois ans de travaux, ses espaces en 2001. Fondation privée destinée à l'art non-occidental africain ou océanien, le Musée Dapper s'est agrandi à une nouvelle adresse, à quelques pas, toujours dans le 16e arrondissement.

Après l'ère des musées, des Frac ou des centres d'art contemporain dépendant du ministère de la Culture, et suivant l'exemple anglo-saxon, les fondations privées montent en puissance. Modeste et tourné vers la création au présent, le loft de la fondation ICAR sur le canal Saint-Martin évoque davantage une galerie parallèle montréalaise. La fondation Gilles Brownstone veut mettre à la disposition des artistes des bourses et les locaux de son ancienne galerie du Marais. Dans le quartier de la Bastille, la Fondation Antoine de Galbert, dédiée à l'art contemporain, sera inaugurée en 2003.

D'autres projets existent, pharaoniques comme la future fondation Pineault. L'intéressé, l'un des plus grands collectionneurs à l'heure actuelle, en a les moyens. François Pinault est propriétaire du Printemps, de la Redoute, de la Fnac, de Gucci, d'Yves Saint-Laurent et — c'est pratique — de Christie's, numéro deux mondial des ventes aux enchères d'oeuvres d'art. Ses choix: Ryman, Rothko, Pollock, Warhol, mais aussi Damien Hirst, Mike Kelley, Nan Goldin, Jeff Koons, Bill Viola et Cindy Sherman. L'architecte de ce super-musée d'art contemporain privé, qui s'établira en 2005 dans les anciennes usines de Renault Billancourt sur l'île Séquin, n'est pas encore choisi. Rem Koolhaas? Tadao Ando? Alvaro Siza? Dominique Perrault de la TGB? À suivre.

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(1) Mouvements, octobre 2002. Repris dans Art Press (Paris) no 275, janvier 2002.

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