Faire tomber les masques à la Manif d’art

Dans un monde de post-vérité, où la tromperie gagne du terrain, prouver un fait ou expliquer un raisonnement n’a plus la cote. En prenant la voie des « illusions », en écho au titre de sa 10e édition, Les illusions sont réelles, Manif d’art – La biennale de Québec assume pleinement les artifices pour lesquels la planète vibre. Bien sûr, elle ne le fait pas sans donner une estocade critique.
Une tonne d’œuvres jouant sur les apparences ont a été déployées dans Québec par le commissaire invité Steven Matijcio. Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a droit à l’exposition dite centrale (voir autre texte), mais ce qui est à voir ailleurs, y compris en plein air, fait le poids.
Basé sur le réalisme magique, appellation parapluie qui englobe bien des imaginaires, le programme est pétri de bonnes intentions. En dehors de cas qui tombent dans l’évidence du simulacre (comme la poutre d’acier qui n’en est pas une, œuvre de Kaz Oshiro), l’astuce ne se limite pas à tromper. Montrer l’envers du décor, révéler les fils (tordus) et pointer des dangers teintent la biennale.
Une sonate au clair de lune tronquée, une horloge qui ne tourne pas rond, le chaos envahissant… Il y a de quoi se méfier. Dans le premier cas, le piano automate actif au centre Avatar — Earth-Moon-Earth, de Katie Paterson — interprète une célèbre mélodie, aidé en cela, ou interrompu, par la lune et sans doute par les aléas des ondes satellites.
Dans le second cas, l’œuvre — Against the Run, d’Alicja Kwade — peut passer inaperçue tant elle se fond dans la place d’Armes, attenante au Château Frontenac. Il faut un regard attentif pour noter l’inhabituelle cadence de l’horloge. Même le quotidien le plus anodin, y compris chaque insignifiante seconde, nous joue des tours.
Le chaos, lui, prend place à la Maison de la littérature, dans une étourdissante et séduisante installation inscrite à même le sol, les murs et le plafond — Conspiration à gogo (extraits pour MANIF X), de Marc-Antoine K. Phaneuf. Dans un style bien à lui — énumération de références sans fin, à faire sourire (ou fuir) —, l’écrivain-artiste narre notre dérive sociale, née de l’amalgame de choses. L’illusion, ici, est totale grâce à l’effet hypnotique d’une œuvre immersive digne de l’art optique.
Manif d’art 10 fait une belle place aux prestidigitateurs, maîtres dans l’art de faire croire aux plus improbables tours de passe-passe. Jonathan Allen, ou son alter ego de scène, Tommy Angel, a placardé dans la ville une affiche qui annonce le spectacle (?) d’un « magicien en crise de foie ». Le Britannique dévoile aussi, au centre Œil de poisson, une impressionnante collection de faux billets de banque, potentiellement de véritables exemplaires de magiciens. Les croyances (la foi) et le pouvoir (l’argent) sont remis ici en question.
Au centre Vu prend place une proposition signifiante et soignée — Escamotage d’une femme, de Natascha Niederstrass. Sinistre, avec la présence de corps démembrés (des mains flottent), l’expo se décline en œuvres photographiques et sculpturales. La Montréalaise cible une certaine histoire de la magie, basée sur des spectacles où l’enjeu central (la disparition d’une femme) ne faisait que reproduire la réalité.
Une telle approche (leurres exposés, attention aux détails) rythme la 10e Manif. Parmi les autres bons coups, soulignons le faux effet miroir de Dgino Cantin (centre Engramme), la maisonnette retournée comme un gant de Meredith James (parc Cartier-Brébeuf, Limoilou) ou encore les aveux sarcastiques de Dario Robleto (Œil de poisson)
Notre reporter a séjourné à Québec à l’invitation de Manif d’art — La biennale de Québec.