Au MNBAQ, Borduas et l’énergie de la rébellion

Un jour, alors qu’il vivait à Paris une période difficile, le peintre Paul-Émile Borduas descendait les escaliers du Louvre quand il a croisé un jeune Jean-Paul Riopelle tout fringant, de 17 ans son cadet, qui, lui, grimpait les échelons. Les deux hommes ne se sont presque pas parlé.
L’anecdote était racontée mercredi par Jean-Luc Murray, le directeur du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), à l’occasion de l’ouverture de l’exposition Les énergies latentes. Paul-Émile Borduas au présent. Elle illustre un peu comment Borduas, initiateur du manifeste Refus global, a pavé la voie à de nombreux artistes, sans nécessairement partager leur renommée internationale.
« Riopelle a eu de la difficulté avec l’approche un peu paternaliste d’un maître avec ses élèves », remarque la conservatrice de l’art moderne du musée, Anne-Marie Bouchard. « Quand on est un jeune artiste, comme Jean-Paul Riopelle à l’époque, on a peut-être besoin de s’affranchir de cette figure-là, qui était une figure importante, tout comme Ozias Leduc a pu l’être pour Borduas à l’époque. Il faut tuer le père pour pouvoir s’affranchir. »
Une collection bonifiée
Avec le don au Musée national des beaux-arts du Québec de huit tableaux de leur collection personnelle, les mécènes et collectionneurs de Vancouver Michael Audain et Yoshiko Karasawa espèrent faire rayonner l’œuvre de Paul-Émile Borduas.
Dans l’exposition, on trouve des tableaux en noir et blanc, très évocateurs des périodes tardives de la production du peintre hilairemontais.
Jusqu’à présent, l’institution ne comptait que 21 toiles de Borduas, pourtant l’un des artistes ayant eu le plus d’influence sur le développement de l’art moderne au Québec. De plus, la plupart de ces œuvres étaient de petit format, et ont été produites dans les années 1940, avant même la signature de Refus global. Avec notamment Figures schématiques, un grand format en noir et blanc qui date de 1957, le musée met à jour sa collection.
« Nous croyons que le mouvement des automatistes à la fin des années 1940 est une percée à la portée mondiale en matière de création artistique. Nous croyons que c’est l’un des mouvements artistiques les plus importants du XXe siècle, bien en avance sur les artistes du reste du Canada de l’époque », dit Michael J. Audain, qui était au MNBAQ mercredi. « Ils sont rattachés au mouvement surréaliste de Paris, et aux expressionnistes abstraits de New York. »
Rappelons que le musée doit inaugurer en 2025 la nouvelle aile Riopelle, où seront hébergées les toiles de Borduas.
Borduas en 2022
Pour montrer la force de la pensée de Paul-Émile Borduas, la commissaire Anne-Marie Bouchard a conjugué les œuvres de la collection au présent, en les juxtaposant à celles d’artistes d’aujourd’hui qui partagent son audace, sa détermination, et sa perception d’un art qui fait bouger les choses, d’un art politiquement engagé. « Paul-Émile Borduas a été le premier, dans les années 1940, à contester l’académisme, à explorer de nouvelles expérimentations picturales et à revendiquer une liberté de création absolue », relève Jean-Luc Murray.
C’est ainsi que ses œuvres côtoient celles des artistes contemporains Nadia Myre, Dominique Blain, Michel Campeau, Michaëlle Sergile et Alain Paiement. Ce sont des œuvres qui parlent entre autres de la Loi sur les Indiens de 1876, de colonialisme et de décolonialisme, de la mémoire qui s’effrite, de la nature et du temps.
« Borduas a étudié en science politique, en littérature, en histoire. Il est pertinent pour Refus global, qui parle d’une époque au-delà de l’art même en tant que tel, parce que ce n’est pas juste un manifeste artistique », souligne Anne-Marie Bouchard. « Mais peut-être que les jeunes générations en ont moins entendu parler. »
Or, c’est précisément « l’actualité de la pensée » de Paul-Émile Borduas qu’on a voulu mettre en scène ici. « J’ai toujours eu le sentiment que sa pensée ne vieillissait pas, et sa peinture non plus, et que ses réflexions sur l’humanité restaient profondément actuelles. Donc, ce n’est pas difficile de le mettre en relation avec l’art actuel », poursuit Mme Bouchard.
Ainsi, l’exposition s’ouvre sur une installation d’Alain Paiement qui regroupe des milliers de photos en noir et blanc des glaces prises sous le pont de Québec pour former une immense image défilant de droite à gauche, et qui est inspirée de la citation : « Le temps ne passe pas, c’est nous qui passons. » Plus loin, on retrouve la fresque Indian Act, de Nadia Myre, où les phrases de la Loi sur les Indiens sont recouvertes de perlage, en blanc sur fond rouge.
Notre journaliste a séjourné à Québec à l’invitation du MNBAQ.