Anxiétés créatives à cultiver en galerie

Alicia Turgeon, directrice générale du centre d’artistes Eastern Bloc, lors de l’installation de l’exposition inaugurale de ses nouveaux locaux.
Valérian Mazataud Le Devoir Alicia Turgeon, directrice générale du centre d’artistes Eastern Bloc, lors de l’installation de l’exposition inaugurale de ses nouveaux locaux.

Épargnés par les mesures sanitaires visant à contrer la vague Omicron, les diffuseurs en arts visuels demeurent parmi les rares lieux culturels, avec les bibliothèques, à pouvoir accueillir des visiteurs. Les expositions dans les centres d’artistes, galeries privées et autres espaces offrent plus que jamais l’occasion d’échapper, ou pas, à la réalité. Voici notre survol.

À travers la lunette pandémique

 

Il est sans doute tentant de percevoir les programmations à travers la lunette pandémique. Pour uneÉliane Excoffierqui invite à visiter, à distance, des univers insoupçonnés — Mille lieues (centre VU) —, une Ginette Légarése montre inventive à partir d’objets domestiques, ceux à sa portée, disons — Alambics (galerie Art Mûr). Deux expos déjà en cours.

L’année 2022 pourrait être teintée par la manière dont on réagit aux restrictions. La Galerie de l’UQAM ouvre sa saison avec un double programme fort à-propos.

Projet de fin d’études, faire avec d’Émylie Bernard prétend, en vidéoperformance, en dessin ou par des rituels méditatifs, qu’une situation de détresse est source de créativité. Dans son cas, c’est un diagnostic de trouble de l’anxiété qui a tout déclenché. Avec humilité et transparence, elle exprime ce que d’autres vivent, pandémie ou pas.

DataffectS, quant à elle, réunit sept artistes et un collectif autour « des enjeux et des effets liés aux moyens de communication numériques ». La dépendance au wifi rend-elle plus vulnérable en cas de panne de courant ? La commissaire Nathalie Bachand, qui s’interroge sur ce « que révèle cet état d’hyperconnexion — et son absence », a réuni des œuvres potentiellement critiques, dont Kobold, installation en céramiques et en textiles de Dominique Sirois. L’artiste montréalaise s’intéresse ici à l’exploitation du cobalt, nécessaire aux batteries de nos appareils mobiles, afin de parler de la matérialité chimique des technologies et, par ricochet, de leur « non-dématérialisation ». L’art, même virtuel, n’est pas sans dangers.

Prévue en janvier, l’inauguration des deux expos a été reportée au 11 février. La Galerie de l’UQAM, comme les autres diffuseurs universitaires, est prise avec l’incertitude quant à l’accessibilité du campus. La très bien nommée Halte / Moments / Situation de Mathieu Cardin, prévue au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, n’affiche ainsi qu’un « dates à venir ».

Si le bien-être et la guérison rassemblent neuf artistes sous un même toit — En constante transformation (espace Projet Casa, dès le 20 janvier) —, la réconciliation est l’affaire d’Olivia Boudreau. Pour l’artiste d’installations vidéo, « il s’agit du geste le plus important que nous ayons à faire en ce moment ». « Cette idée s’exprime, écrit-elle en préambule à l’expo Haut voltage (centre Optica, dès le 22 janvier), dans la nécessité de repenser notre relation à l’autre et au monde. »

Clemens von Wedemeyer (centre Vox, dès le 10 mars), expo intitulée du nom de l’artiste allemand faisant aussi dans l’installation vidéo, rend compte des rapports humains par la représentation des masses. Alors que chez le peintre Christian Messier, qui fait se côtoyer paysages et portraits, le regard sur nos contemporains met en scène l’étrangeté et la pudeur — La solitude des fantômes (galerie Laroche/Joncas, dès le 26 janvier).

Luttes contemporaines et avenirs collectifs

 

Chaque saison apporte ses changements, et celle-ci est marquée par l’arrivée dans Chabanel d’un premier diffuseur en bonne et due forme. Sans local depuis deux ans, le centre Eastern Bloc, promoteur de la relève en arts numériques, atterrit dans ce quartier en effervescence culturelle.

L’exposition inaugurale Techno|| Mysticism (dès le 22 janvier) réunit quatre artistes autour de « notre avenir technologique collectif ». Tout un programme, à la fois optimiste et pessimiste. « Certaines œuvres explorent le potentiel libérateur des espaces virtuels, tandis que d’autres dévoilent les limites de la technologie afin de répondre aux questions fondamentales concernant la vie et la mort », annonce-t-on. À noter qu’Eastern Bloc mise sur l’accessibilité : sa nouvelle galerie a pignon sur rue.

Artiste multidisciplinaire d’origine anichinabée, Maria Hupfield travaille les textiles comme des vecteurs de mémoire. Le projet manidoowegin, ou peau d’esprit (centre Diagonale, dès le 27 janvier) réunit des sculptures en feutre à mi-chemin de l’œuvre abstraite et du vêtement. Ou comme le propose le texte de présentation, elles sont « enracinées dans la tradition » et « debout avec les luttes contemporaines ». Leur potentiel narratif est « tout, sauf simple ».

Pour ses 30 ans d’existence, le centre d’artistes Galerie B-312 propose de revoir, en trois expositions, les notions du temps et de l’espace — deux réalités bousculées depuis mars 2020. La première, États fluides (dès le 20 janvier), est le fruit de la rencontre inusitée entre Maude Arès, âgée de 30 ans, et Massimo Guerrera, fort de 30 ans de pratique.

S’appuyant sur la « fluidité » de leur relation humaine et matérielle, Arès et Guerrera ont procédé à la cueillette d’objets dans des terrains vagues aux abords de leurs ateliers. Leur posture est politique : « En revalorisant les détritus, annonce le texte de B-312, les artistes cherchent à défier le consumérisme. »

D’autres expos reposent sur ce rapport aux objets, ou sur leur rareté. Celle de Marc Boucher réunit des sculptures et des performances réalisées à partir de déchets — Uphoarding (espace Produit rien, en cours). Celle de Gabi Dao, en collaboration avec geetha thurairajah Soothsay (centre Clark, en cours) —, découle de la pénurie : les étagères vides des magasins au début de la pandémie l’ont poussée à créer avec ce qu’elle dénichait (papiers tue-mouche, fruits mous, fécule de tapioca).

La discussion mettant fin à Futurs possibles (Maison des arts de Laval), expo inaugurée en novembre, fait écho aux initiatives qui recyclent les matériaux et donnent ainsi à l’art un rôle capital. La rencontre virtuelle du 6 février, peut-être en présentiel, réunira l’artiste Adam Basanta, la commissaire Ariane Plante et le philosophe Jérémie McEwen.

Salut à une moderne

Décédée en novembre, Rita Letendrereçoit un hommage posthume de la galerie Simon Blais, qui la représentait depuis 1996. L’exposition couvrira large, de la peinture des années 1960 à celle de 2012, en passant par les célèbres « flèches », dont certaines jamais exposées depuis 1972. Dès le 19 février.



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