Le retour de Marinette

Marie-Claude Bouthillier présente une nouvelle exposition à Occurrence, où elle met en vedette son alter ego, Marinette. Aussi attachante quecomique, la marionnette, qu’il fait bon de retrouver, est la protagoniste de saynètes diffusées dans un film. Avec ce personnage, la peintre connue pour ses abstractions aux motifs de grilles déconstruites met l’accent sur la narration, rapprochant ainsi avec brio des aspects a priori distants de sa pratique.
La première sortie de Marinette remonte à 2018, au MACLAU à Saint-Jérôme, où Bouthillier présentait Cartes sur table. Au fil de sa collaboration avec le restaurateur Richard Gagné, alors commissaire de l’exposition, l’artiste avait décidé de révéler au grand jour la créature née en marge d’un cours de moulage. Depuis, celle à qui l’artiste prête son look vestimentaire et ses traits physiques s’est imposée dans sa démarche, apparaissant toujours dans de courtes mises en scène encapsulées en vidéo.
Marie-Claude Bouthillier raconte d’ailleurs la mise au monde de la marionnette dans un balado lancé par le centre d’artistes simultanément avec l’exposition — et celle de Carol Wainio. L’étudiante en arts visuels Mathilde Varanese mène avec maîtrise ce projet pilote de médiation culturelle intitulé Point bleu et qui, sous forme d’entrevue avec l’artiste, éclaire efficacement les intentions derrière les œuvres. Ici, c’est la parole de l’artiste qui fait autorité.
Figure déléguée
Avec Marinette, Bouthillier met elle-même en scène la parole de l’artiste. À la différence toutefois de l’outil de médiation sérieusement concocté, elle ne prête pas à son discours une visée explicative. Elle en fait plutôt un espace de fiction, d’invention narrative et d’autofiction où aux références littéraires s’entremêlent des allusions au Tarot, à l’histoire de l’art et à l’actualité.
Elle y va de réflexions sur le statut de l’artiste, plus « fourmi » que « cigale », mais parfois le « poisson » qui mord à l’hameçon de commissaire ou d’historien de l’art. « Restons vigilants ! » préconise-t-elle. Elle expose aussi le cycle, à la limite de l’absurde, de la production des œuvres qui s’empilent, entreposées, ou réexamine l’héritage de congénères consacrés par l’histoire, qu’ils soient Robert Filliou ou Marcel Duchamp. Les Sofonisba Anguissola et baronne Elsa von Freytag-Loringhoven y font entre autres leur apparition, indices peut-être de préoccupations féministes.
La figure de Marinette ébranle les mythes de l’artiste autant qu’elle les convoque par sa mélancolie, son potentiel à sombrer dans le pathos ou le fait de résister au diable. Contrairement aux anecdotes qui émaillent les vies d’artistes depuis l’Antiquité et qui avaient pour fonction d’enrober leur image de merveilleux, celles de Marinette se terminent souvent par des pirouettes amusantes et pour le moins désacralisantes.
Castelet
Ce n’est pas la première fois que Bouthillier s’intéresse aux mythes de l’artiste et à ses clichés romantiques. Elle en a traqué dans la littérature les motifs récurrents dont elle s’est même inspirée pour réaliser un jeu de cartes de Tarot, autre passion dont se réclame d’ailleurs Marinette, tout de même un peu gênée de l’admettre. « Oups… oui, oui, je me tire les cartes », dit-elle, surprise par la caméra, dans l’une des saynètes.
Marinette permet à l’artiste Bouthillier de concilier et d’accepter toutes ces choses, en libérant la parole tout en maintenant une dose de mystère. Marinette « joue » à l’oracle pour la caméra. Elle fait parler les signes, mais ne livre pas de réponse ; elle se dit plutôt biaisée ou choisit souvent l’esquive. Dans la salle, la position de l’image projetée, le mobilier pour s’asseoir ainsi que des œuvres peintes accrochées dans un angle font formellement écho à cette position oblique du personnage.
Dans ce dispositif, on reconnaît l’attrait de l’artiste pour l’installation, attrait qu’elle a exprimé par le passé dans des environnements élaborés de toiles peintes non montées. Bien que mise en retrait, la peinture persiste ici, dans ces « échantillons » aux murs de la galerie et aussi dans le film où les décors sont soigneusement travaillés, faits main, évoquant tantôt l’univers domestique, tantôt l’atelier avec ses essais picturaux.
Chacune des séquences se présente comme un tableau, une nature morte, genre qui symbolise traditionnellement la mort et la finitude de l’humain. Avec son castelet, Marie-Claude Bouthillier n’écarte pas la peinture dont elle fait surgir des conventions et certains ingrédients de son histoire canonique. Quelque part aussi, c’est comme si, rétroactivement, les abstractions de la peintre avaient toujours été le canevas de fictions en devenir, des trames narratives en quête de personnages.
Les affabulations critiques de Carol Wainio
Les contes pour enfants, comme les fables de La Fontaine, sont loin d’être innocents, nous dit Carol Wainio dans ses peintures exposées dans la grande salle d’Occurrence. La professeure en arts visuels, qui vit à Montréal et à Ottawa, continue d’explorer la complexité de ces récits sous la forme de « collages » picturaux qui, avec prouesse, amalgament les références de sources savantes ou vernaculaires. Par des jeux visuels qui exploitent l’hétérogénéité et, de pair, la confusion entre les figures et le fond, la peintre évoque la persistance de leurs tropes dans les discours actuels. Dans l’imaginaire ancien de ces contes, l’artiste repère aussi des métaphores de catastrophes bien réelles, tel le désordre climatique. Pour elle, la parole revient maintenant aux bêtes.