Père et fils, les Vaillancourt s’exposent

Au milieu de la salle, un géant : un monstre de plastique récupéré, aux jambes de colosse, dont la tête est traversée de lumière. La pièce, qui fait presque quatre mètres de haut, s’intitule Maîtres. Elle est signée Alexis Vaillancourt, le fils d’Armand, qui l’a confectionnée avec l’artiste Olivier Bonnard. Humanoïde constitué d’un amalgame d’objets de la vie quotidienne, tiges de métal, styromousse, béton, Maîtres semble témoigner de l’effet sur l’humain des déchets qu’il a produits.
« Le lien avec l’humain qui a créé toute cette pollution-là, et qui finit par la boire. Ça le dépasse aussi », dit Alexis Vaillancourt.
Père et fils, Armand et Alexis Vaillancourt, respectivement âgés de 92 et de 29 ans, exposent ensemble, pour la première fois, au Centre d’art Diane-Dufresne, à Repentigny. Dans la salle lumineuse, les œuvres se répondent, échos de passions respectives qui ont essaimé à plus de soixante ans d’intervalle, sculptures assemblant des matériaux divers récupérés, peintures aux couleurs jaillissantes, ou en noir et blanc, comme en témoigne la production récente d’Armand Vaillancourt. « Peindre en noir et blanc, ça me satisfait complètement », dit le père à la longue chevelure blanche, interrogé sur cette nouvelle orientation. Comme son père, Alexis Vaillancourt voit dans le rebut, dans le déchet, l’œuvre d’art potentielle.

L’école de la rue
Mais sa démarche demeure distincte. « Moi, je suis très autonome, et lui aussi », souligne le nonagénaire. Le titre de l’exposition, Deux cœurs deux têtes, en témoigne. Avec d’autres artistes, Alexis Vaillancourt participe au projet de la galerie WIP, boulevard Saint-Laurent, où il a déjà exposé. « On a fêté les trois ans cette année », dit-il. Mais comme son père, qui a été critiqué par l’École des Beaux-Arts en 1953 parce qu’il avait entrepris de sculpter l’arbre de la rue Durocher sans avoir le diplôme qui aurait sanctionné son statut d’artiste, Alexis Vaillancourt a d’abord développé son art dans la rue. On a ensuite qualifié L’arbre de la rue Durocherde première sculpture québécoise d’art moderne.
Dans la rue, Alexis a pour sa part apprivoisé les lettrages des graffitis, puis les murales. En 2020, c’est lui qui a signé la murale en hommage à son père, à Montréal.
Les immeubles abandonnés ont été les lieux où il a peaufiné son art. « Cela m’a permis de découvrir et de pratiquer des choses », avoue-t-il.
Mais c’est dès la petite enfance qu’Alexis a manifesté son penchant pour les arts plastiques, lui qui suivait ses parents artistes de galeries d’art en performance.
Course infernale, l’une des peintures d’Armand Vaillancourt, qui a été reproduite sur l’affiche de l’exposition, montre d’ailleurs une spirale blanche et jaune sur laquelle se trouvent des petites voitures qui appartenaient à Alexis enfant, dont sa préférée, une automobile bleue qui est au centre de l’œuvre.
Des œuvres qui se répondent
Les œuvres d’Alexis, Armand Vaillancourt et sa conjointe, l’artiste Joanne Beaulieu, qui est d’ailleurs à l’origine de l’exposition, les ont conservées religieusement. Le trio a d’ailleurs déjà présenté une exposition commune quand Alexis avait environ sept ans.
« Depuis le début, on a pu suivre ce qu’il faisait, et vice-versa », souligne le père, qui s’extasie encore sur les œuvres de jeunesse de son fils.
« J’ai travaillé avec Joanne pas mal sur le choix des œuvres et sur la scénographie. Et je pense qu’on n’avait pas envie que l’exposition soit séparée au milieu, avec chacun nos œuvres de notre côté. Armand a une sélection d’œuvres qui est incroyable, il en a des centaines et des centaines. Moi, je suis plus jeune, c’est plus restreint, mais j’ai quand même essayé de trouver un lien entre nos travaux », note Alexis. « J’aime les volumes, et j’aime beaucoup l’architecture. Avec le format, il y a quelque chose de plus vivant, quelque chose qui est plus grand que soi. »
À ses côtés, Armand demeure intarissable, sur l’art, mais surtout sur la vie, sur l’engagement social, et sur sa quête de justice et d’équité. Sur un mur de l’exposition, on peut voir la pièce J’ai faim, qu’il a créée en 1999 pour le 150e anniversaire de la Société Saint-Vincent-de-Paul, où des mains semblent s’élever pour réclamer de manger à leur faim.
J’aime les volumes, et j’aime beaucoup l’architecture. Avec le format, il y a quelque chose de plus vivant, quelque chose qui est plus grand que toi.
« J’ai faim, c’était certain que je l’apportais, relate Joanne Beaulieu. C’est une œuvre statement, qu’Armand présente souvent. »
Avec le père et le fils, la discussion aborde nécessairement le thème de l’environnement. L’humanité « va frapper un mur », se désole Armand Vaillancourt en évoquant la crise climatique, alors que son fils répond qu’en réaction, il s’applique à vivre de son mieux le moment présent.