Les voix s’élèvent au MBAM
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Musées
La nouvelle exposition à l’affiche du Musée des beaux-arts de Montréal, Combien de temps faut-il pour qu’une voix atteigne l’autre ?, explore la voix, en tant qu’expression symbolique de l’émotion humaine.
Son titre, qui emprunte un vers à The Country Between Us de la poétesse et militante américaine Carolyn Forché, le dit en préambule : cette exposition décline la voix et la parole comme outils de projection aux autres et au monde. Une intention qui prend tout son sens après près de deux ans de « distanciation sociale » et de liens interpersonnels mis à rude épreuve. À travers une succession d’œuvres — tableaux, sculptures et installations — dont certaines nouvellement acquises par le musée, le visiteur chemine dans une temporalité qui traverse les styles et les siècles : l’art contemporain (Betty Goodwin, pour ne citer qu’elle) y côtoie des œuvres classiques, notamment celles de peintres du XVIIe siècle comme le Néerlandais Rembrandt ou l’Italien José de Ribera. Dès l’entrée, on se sent happé par la trame sonore qui s’échappe d’un gigantesque pavillon revisité par l’artiste autochtone Rebecca Belmore, trame qui rapporte certains épisodes de la crise d’Oka et qui donne le ton à une variation d’ambiances sonores. La culture des Premiers Peuples, dont la tradition orale est le vecteur principal, y est d’ailleurs largement illustrée, notamment avec les œuvres des Inuits Elisapie Inukpuk (Chant de gorge, 1941) et Mattiusi Iyaituk (Ma mère parle du caribou, 1960).
Des voix s’élèvent
La grande force de cette exposition est d’amener le visiteur dans un crescendo émotionnel, notamment dans une salle qui expose la voix comme puissante arme de dénonciation de l’injustice et de la violence. À cet égard, l’œuvre de la Mohawk Hannah Claus est édifiante : c’est toute la souffrance des Autochtones qui s’exprime à travers ses tableaux réinterprétant des textes d’accords violés. Les voix réduites au silence s’expriment dans l’œuvre magistrale de l’artiste indienne Shilpa Gupta, Car, dans ta langue, je n’ai pas ma place : 100 poètes emprisonnés (2017), véritable cri du cœur qui exacerbe la voix muselée des poètes détenus par des régimes totalitaires pour leurs textes « subversifs ». Sans conteste, c’est la sculpture Yes, We Love You (2020), du sculpteur canadien d’origine haïtienne Stanley Février qui s’impose comme l’un des moments forts de l’exposition. Pour ce faire, l’artiste a procédé à un moulage de son propre corps dans l’exacte position de George Floyd, allongé à terre, les deux mains attachées dans le dos. La scénographie contribue à la force de l’œuvre, car la sculpture est installée au centre d’une salle de taille modeste dont elle occupe tout l’espace. Sitôt entré dans cette pièce, on a du mal à éviter un mouvement de recul devant cette insoutenable scène de suffocation qu’on est contraint de contourner pour observer. Ce qui fait de nous, visiteurs placés à l’avant-scène, les témoins du racisme et des violences dont sont victimes les Afro-Américains.
Dans un silence assourdissant
De la voix étouffée au silence (et à la mort), la transition est sans équivoque. La lumière / Le temps (2016), de Yann Pocreau, donne le ton à cette installation de 772 ampoules, dont certaines s’allument et s’éteignent au ralenti et qui représentent les 772 chambres de l’ancien hôpital Saint-Luc de Montréal (certaines d’entre elles ont même été prélevées sur place). Devant cette œuvre, le visiteur se sent comme au chevet d’un patient, guettant le mouvement d’une respiration affaiblie par la maladie. Mais c’est Dernier soupir (2012), de l’artiste multimédia canadien Rafael Lozano-Hemmer, qui projette le visiteur dans une émotion d’une stupéfiante actualité. Son œuvre est une réinterprétation du système respiratoire, ce qui, à l’évidence, fait écho aux respirateurs artificiels qui ont assisté (et assistent encore) tant de patients durant la pandémie.
De la musique avant toute chose
En guise de point d’orgue à l’exploration, le visiteur doit s’engager dans un couloir obscur, sorte de sas de décompression, qui l’invite à achever son expérience sur une émotion puissante. L’œuvre Motet à quarante voix (2001), de Janet Cardiff, est constituée de 40 haut-parleurs identiques qui diffusent chacun l’œuvre musicale de Thomas Tallis (XVIe siècle). Pour réaliser cette installation, la ligne mélodique a été enregistrée en séparant chaque voix individuelle qui compose le chœur original. Le visiteur-auditeur perçoit à la fois chacune des voix uniques et l’ensemble vocal qui se dégage à l’unisson. Cette force des voix individuelles, couplée à celle d’une polyphonie réinventée, propulse le visiteur dans une expérience quasi mystique.
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