Christian Boltanski, plasticien du temps

Christian Boltanski, l’un des principaux artistes français contemporains, dont on a appris la mort mercredi, se présentait comme un artisan de la mémoire qui a « lutté contre l’oubli et la disparition » par des œuvres mêlant objets hétéroclites, vidéos, photographies et installations.
« Il est mort ce matin à l’hôpital Cochin [à Paris], où il était depuis quelques jours. Il était malade. C’était un homme pudique, il a caché les choses aussi longtemps qu’il a pu »,a déclaré à l’AFP Bernard Blistène, ancien directeur du musée d’art moderne au Centre Pompidou à Paris, confirmant une information du journal Le Monde.
« C’est une très grande perte, a déploré M. Blistène. Il aimait par-dessus tout cette transmission entre les êtres, par des récits, par des souvenirs. Il restera comme un des plus grands conteurs de son temps. C’était un inventeur incroyable. »
Autodidacte, le plasticien s’estd’abord concentré sur la quête de l’identité, puis avec les années, s’est transformé en scénographe d’œuvres éphémères spectaculaires, installées dans des lieux emblématiques.
À la fin de sa vie, l’homme chauve, au regard à la fois grave et pétillant, avait compilé sur une île japonaise les battements de 75 000 cœurs, vendu sa vie en viager à un collectionneur en Tasmanie et tenté de parler avec les baleines de Patagonie.
Fuite du temps, fragilité de la vie, confusion entre absence et présence sont autant de thèmes que l’artiste a explorés à travers des paraboles faites de signes, d’images et de sons.
En 2020, le Centre Pompidou lui avait consacré une exposition, Faire son temps, conçue comme une gigantesque œuvre unique. Avec lui, « une exposition était comme un véritable récit, comme un grand mouvement », se souvient encore M. Blistène, qui le côtoyait depuis une quarantaine d’années.
Fils d’un médecin juif converti d’origine ukrainienne et d’une Corse catholique, Christian-Liberté Boltanski naît le 6 septembre 1944. Pendant l’Occupation, sa mère atteinte de polio cache son père sous le plancher de l’appartement. Ils simulent un divorce et prétendent que le père a quitté Paris. Son neveu Christophe Boltanski raconte cette famille atypique dans La cache, salué par le prix Femina 2015.
Son enfance est hantée par les récits de son entourage ayant survécu à la Shoah. Éduqué dans la peur d’être séparé, il dort au pied du lit parental avec ses deux autres frères. Jean-Elie deviendra un linguiste émérite, Luc, directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et père de la « sociologie pragmatique ».
Christian quitte l’école vers 12 ans après s’être enfui de nombreux établissements. « Pas totalement idiot, mais toujours un peu étrange », il s’exprime mal et vaque à de « petites occupations maniaques », raconte-t-il au Monde. Un jour, il peint et son frère le félicite. Il se lance alors dans la réalisation frénétique d’immenses toiles et fait sa première exposition en mai 1968, à 23 ans. Après plus de 200 tableaux, il abandonne la peinture et réalise quelques courts métrages. L’expérience guère concluante lui permet de découvrir de nouveaux moyens d’expression.
« Fruit du hasard »
En 1968, il publie son livre manifeste Recherche et présentation de tout ce qui reste de mon enfance, 1944-1950. Ce grand lecteur de Proust et de Perec devient un « ethnologue de lui-même », reconstitue des objets ou des situations de son enfance dans son atelier installé à Malakoff, aux portes de Paris. « Je cherchais à retrouver mon passé et le réinventais à la fois, avec des images des autres, dans lesquelles chacun pouvait se retrouver. »
En 1971, L’album de la famille D lance sa carrière internationale. À partir des clichés de son ami Michel Durand, puis des photographies des 62 membres du Club Mickey en 1955 (1972), il réalise des patchworks d’images. Avec ses Inventaires, il expose les trésors de fonds de tiroirs ayant appartenu à des anonymes.
Je cherchais à retrouver mon passé et le réinventais à la fois, avec des images des autres, dans lesquelles chacun pouvait se retrouver
La mort de ses parents au milieu des années 1980 le plonge dans une période mystique : petites chapelles, reliquaires… Les séries Ombres, Monuments sont de plus en plus sombres. Des boîtes de biscuits portant le nom de défunts sont assemblées en colonne ou en mur comme des urnes funéraires. La Shoah est omniprésente, mais jamais explicite. L’objectif est de rester universel.
Il archive, dresse des listes. Le vêtement, conçu comme l’empreinte fantomatique de l’individu, devient son matériau central. En 2010, il présente Personnes, une installation géante composée d’habits entassés sous la nef glacée du Grand Palais qui évoque pour beaucoup l’Holocauste.
En 2011, il représente la France à la Biennale de Venise et explore le thème du hasard : un impressionnant ruban métallique déroule des visages de nourrissons formant une « tombola » de bébés.
Il était marié à la plasticienne Annette Messager. Ils avaient choisi de ne pas avoir d’enfant.