Le musée s’expose

Du rez-de-chaussée au deuxième étage, du vestibule aux salles d’exposition de la collection permanente en passant même par la boutique, mais aussi bien sûr par les salles consacrées aux expositions temporaires, le Musée d’art de Joliette (MAJ) expose cet été ses collections avec grande intelligence.
Cela débute dans le hall, où vous pourrez voir des bronzes ainsi que des caisses de transport et de conservation, certaines ouvertes, certaines encore chargées de leur œuvre. C’est au directeur du musée, Jean-François Bélisle, d’avoir eu l’idée de montrer en avant-propos cet ensemble de sculptures et de conteneurs qui insistent sur le poids matériel et l’espace physique que les collections représentent.
Le visiteur pourra voir comme chacune de ces boîtes constitue un petit trésor d’ingéniosité pour protéger son butin, chacune d’entre elles s’adaptant à la forme et aux particularités matérielles de « son » œuvre. Certaines de ces caisses demandent même un ordre de démontage bien particulier… Le commun des mortels, qui n’a pas accès à ces boîtiers-écrins, à ces exosquelettes muséaux, sera surpris d’en voir la mécanique sophistiquée et l’aspect presque sculptural. C’est un des aspects des musées, plus secret, que cette expo met de l’avant. Chaque œuvre y trouve comme une spécificité supplémentaire, une histoire accrue.
Côté Desjardins…
Le parcours se poursuit par la complexe et judicieuse intervention de Chloé Desjardins — commissariée par Anne-Marie St-Jean Aubre. Mme Desjardins a eu la bonne idée d’interpeller différents employés du MAJ — très majoritairement des femmes —, leur demandant de choisir une œuvre de la collection qu’ils ou elles affectionnent particulièrement. Et chacun de ces individus, incarnant les divers métiers du musée — agent administratif, conservatrice à l’éducation, technicienne en muséologie, conservatrice des collections, responsable des services aux visiteurs, responsable des communications — s’est prêté au jeu, décrivant l’œuvre sélectionnée, allant jusqu’à expliquer par écrit les raisons de son choix.

Ces textes ouvrent à l’aveugle la mise en scène pensée par l’artiste. Cela donne un portrait plus intime des œuvres d’art, portrait qui signale comment, paradoxalement, l’expérience de l’art est avant tout question de récits et de savoirs et non pas simplement ou bêtement de l’ordre des sens. Cette expo se trouve à devenir la dépositaire d’une histoire de l’art qui ne laisse pas toujours de traces. Une histoire de l’art lié aux goûts d’une époque, la nôtre, mais aussi aux liens que l’art peut avoir avec des individus, liens qui se poursuivent dans un musée, même si ces objets n’appartiennent plus à un collectionneur…
Après avoir lu ces témoignages, vous pourrez voir les œuvres en question. Certaines sont d’artistes célèbres (Pierre Ayot, Arman, Anne Kahane, Rober Racine, Henry Moore, Betty Goodwin), d’autres de créateurs moins connus ou même anonymes. Chloé Desjardins, dans un brillant jeu de miroirs effectué entre autres avec le concept de musée, a de plus élaboré pour chacune de ces œuvres une nouvelle création, une sorte d’écrin. Elle nous invite ainsi à lire, à comprendre, à regarder, à recontextualiser ces œuvres avec au moins quatre approches différentes : descriptions, explications, appréhensions physiques, mise en valeur presque théâtrale. Cela permet de lutter contre la manière superficielle avec laquelle bien des visiteurs défilent devant les enfilades d’œuvres dans les musées, ne prenant même pas une minute par artefact.
Du côté de chez Désilets et de Trahan
Le parcours au MAJ se poursuit avec les interventions de Martin Désilets et Carl Trahan, elles aussi d’une grande pertinence, elles aussi finement intégrées — emboîtées — dans les salles de la collection.

Désilets, qui fut invité au MAJ pour y réaliser une résidence de création dans la première moitié de 2020, nous montre les résultats de sa recherche qui s’inscrit dans un projet photographique de longue haleine, réalisé depuis 2017. Désilets ne se sert pas de la mécanique photographique pour montrer plus clairement, avec précision, les œuvres d’art, mais, au contraire, afin de souligner comment nos rapports aux œuvres se font par superpositions de significations, de lectures, mais aussi d’aveuglements, d’interférences…
L’installation des œuvres de Carl Trahan dans l’espace même de la collection ne pouvait être mieux réalisée que dans la section d’art religieux. Sa pratique y trouve une résonance mystique décuplée et les œuvres chrétiennes qui l’entourent y renouent avec leur aura philosophique.
Une exposition en forme de curieuses poupées russes.
Un musée vivant
La collection du MAJ s’est trouvée enrichie dans les dernières années de pièces importantes. C’est à ces nouvelles acquisitions enchanteresses et au pouvoir salvifique de l’art que cette expo rend hommage. Une présentation qui tisse des liens entre les thèmes et les matériaux utilisés par différents artistes entre 1925 et 2015. La sculpture en bois, intitulée simplement Forme, de Robert Roussil est exceptionnelle, aussi vive et présente qu’un trait d’esprit. On y remarquera aussi les pièces de Mariette Rousseau-Vermette, Lisette Lemieux, Sylvia Safdie, John Heward, Mathieu Grenier… Un très beau parcours de l’art québécois et canadien.
Salvifique
Commissaire : Julie Alary Lavallée. Au Musée d’art de Joliette, jusqu’au 6 septembre.