Penser l’architecture comme un manifeste

Au XXe siècle, l’architecture moderne a eu tendance à catapulter son style « international » et fonctionnaliste, issu de recherches occidentales, un peu partout sur la planète en ne tenant pas compte des spécificités des cultures investies. À partir des années 1980, ce phénomène s’est amplifié avec l’ère des starchitectes qui venaient imposer un bâtiment signature complètement déconnecté des quartiers, des villes et des pays où il venait s’imposer. La logique de développement néolibéral semblait alors l’emporter.
De nos jours se développerait toutefois une architecture plus en dialogue avec le lieu où elle se développe. C’est en tout cas ce que le Centre canadien d’architecture (CCA) tente de démontrer dans une exposition en forme de manifeste. Depuis quelques décennies, on parle de manière un peu large — et parfois floue — d’architecture contextualiste, démarche qui trouverait ses racines entre autres dans l’approche théorique développée par Colin Rowe dans les années 1970. L’exposition montée au CCA, intitulée Les choses qui nous entourent, cerne les activités de deux groupes d’architectes allant dans cette voie. L’un, 51N4E, est installé à Bruxelles, et l’autre, Rural Urban Framework, est basé à Hong Kong.
En 2000, naissait 51N4E, firme composée de Johan Anrys, Freek Persyn et Peter Swinnen (ce dernier a depuis quitté le trio) travaillant autant dans la capitale belge qu’au centre-ville de Tirana, en Albanie. Depuis 2005, Rural Urban Framework (RUF), composée de Joshua Bolchover et de John Lin, se veut une collaboration de recherche et de design. Certains architectes ont vu dans leurs activités une tentative pour « réinventer la ruralité contemporaine en Chine ». Rien de moins.
Pour le commissaire Francesco Garutti, le concept de contexte est ici à comprendre dans toute sa complexité. Il s’agit d’intégrer au contexte culturel et historique les technologies régionales, les conditions économiques locales, les dimensions sociopolitiques d’un groupe donné, tout cela dans une dimension planétaire. Une vision de grande envergure, donc, mais qui correspond à une attitude poussée par une urgence, celle de revoir les pratiques architecturales à l’aune de la surexploitation des ressources de la planète.
C’est cette impulsion que vous pourrez voir, par exemple, dans le projet de restructuration des trois tours du World Trade Center de Bruxelles, lieu incarnant un échec urbanistique moderne des années 1950-1960. La restructuration de ces bâtiments a entre autres permis une récupération de matériaux, sujet d’une grande actualité. Mais ce fut aussi l’occasion d’ouvrir les espaces au rez-de-chaussée à diverses activités afin de créer des liens avec les habitants du quartier et d’y insérer des espaces végétalisés.
Pour 51N4E, l’architecture est politique. Elle prend position dans l’espace social des citoyens. Leur intervention sur la grande place Skanderbeg à Tirana, pensée lors de l’ère communiste et revue par eux dans les dernières années, avec la participation de l’artiste Anri Sala, pour en faire un lieu vraiment public, est exemplaire. Mais cette approche peut aussi se concrétiser juste en élaborant un hôpital ayant aussi une fonction de lieu communautaire comme le fit RUF en Chine.
Le visiteur appréciera particulièrement le film qui est présenté en début de parcours. Le CCA réalise de plus en plus ces films de présentation didactique. On se rappellera celui réalisé pour la brillante exposition Architecture et bien-être à l’ère du capitalisme émotionnel en 2019. Cette approche contextualiste de l’architecture se dévoile ici d’une grande richesse, prometteuse d’un avenir plus intelligent.
Nous ferons cependant un reproche à cette intelligente présentation. Un tel événement, qui vante les mérites d’une approche intellectuelle implantée dans son milieu, n’aurait-il pas pu inclure des liens avec des réalisations à Montréal, au Québec ou au Canada, tout au moins, en une conclusion, afin de montrer la pertinence de ces questions ici même ? Cela fait d’ailleurs longtemps que, dans ses salles principales, le CCA n’a pas montré d’expositions consacrées à l’architecture d’ici.
À l’heure où Montréal subit un boom immobilier déraisonnable, cette expo se dévoile remplie d’exemples à suivre afin de créer une vision d’ensemble sachant allier développement durable et contexte social.