Le MNBAQ veut faire entrer sa collection Prêt d’oeuvres d’art dans le présent

Détail de l'oeuvre «Authentique no 1», Moridja Kitenge Banza, 2017 © Moridja Kitenge Banza
Photo: Idra Labrie MNBAQ Détail de l'oeuvre «Authentique no 1», Moridja Kitenge Banza, 2017 © Moridja Kitenge Banza

Le flocon de neige au cœur du nouveau logo du Club de foot de Montréal fait rire Leila Zelli. « On dirait un club de ski », clame l’artiste passionnée de ballon rond, qui n’avait pas le cœur à rire lorsqu’elle a tourné la vidéo Substitute (2019), à même le stade Saputo, l’enceinte du désormais ex-Impact de Montréal.

Réalisée avec la contribution de Guillaume Pascale, l’œuvre rend hommage à l’Iranienne Sahar Khodayari, qui s’est immolée en 2019 afin de contester la peine qu’elle encourait pour avoir voulu assister à un match de soccer. « Son histoire m’a touchée. Ça m’a rappelé quand j’étais en Iran et que je ne pouvais pas entrer au stade parce que j’étais une femme, dit Leila Zelli. Chaque fois que je vais au stade Saputo, je suis consciente de la chance d’être là. »

Deux images tirées de Substitute font partie de la vingtaine de pièces qui ont enrichi en 2020 la collection Prêt d’œuvres d’art (CPOA) du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). Un lot particulièrement symbolique : il est le dernier d’une longue histoire bâtie à coups d’œuvres pouvant s’insérer dans un bureau. Finis les concours annuels qui ont permis aux artistes sous-représentés d’être considérés, comme Zelli, ou comme Moridja Kitenge Banza, Cindy Phenix, Marigold Santos et Adam Basanta, qui y ont fait leur apparition en 2019.

La justice sociale, les enjeux de société, la représentation autochtone, la diversité culturelle, c’est déjà présent dans la collection. Depuis trois ou quatre ans, des gestes ont été posés. Le musée se dirige vers une position très claire [qui reflète] ces nouvelles sensibilités.

 

« Près de 40 ans après sa création, la CPOA sera métamorphosée afin que les activités du Musée se rapprochent d’une volonté de mieux servir la communauté artistique québécoise. Dans l’attente de ces changements de fond qui devraient graduellement prendre place cette année, le concours de la CPOA n’est pas maintenu »,lit-on dans une missive du 6 janvier signée Annie Gauthier, directrice des collections et des expositions.

Envoyé à des organismes comme le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec ou l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC), l’avis se veut rassurant : « Le budget alloué à la CPOA sera redistribué afin de continuer à soutenir le milieu des galeries ainsi que les artistes non représentés par ces dernières. »

Modèle d’affaires à revoir

Mise sur pied en 1982 par le ministère des Affaires culturelles, la CPOA vise à promouvoir et à diffuser l’art contemporain du Québec. Si elle constitue une porte d’entrée au musée en marge de la collection dite permanente, elle est aussi une formidable vitrine. Ce sont les officines de l’État et les bureaux des firmes privées qui louent les œuvres de la CPOA. Et le musée aimerait ajouter les écoles et organismes communautaires parmi les points de chute.

Responsable du développement des collections au MNBAQ, Bernard Lamarche a confirmé au téléphone ce que le musée énonce discrètement sur son site Web. « Des concours [menant à l’acquisition des œuvres], il n’y en aura plus. D’autres décisions, ralenties par la pandémie, seront prises. La transformation est importante », insiste le conservateur de l’art actuel.

Les raisons, multiples, précèdent l’ère COVID-19, fait-il noter. Le modèle d’affaires repose sur des revenus de location qui n’ont cessé de chuter — de 265 000 $ en 2009, ils sont passés à 115 000 $ ces dernières années. La refonte de la CPOA s’inscrit aussi dans la volonté du musée de se défaire de son étiquette blanche et coloniale.

« La justice sociale, les enjeux de société, la représentation autochtone, la diversité culturelle, énumère Bernard Lamarche, c’est déjà présent dans la collection. Depuis trois ou quatre ans, des gestes ont été posés. Le musée se dirige vers une position très claire [qui reflète] ces nouvelles sensibilités. »

La conservatrice de la CPOA depuis 12 ans, Maude Lévesque, sera promue commissaire d’expositions, poste jusque-là vacant. Elle sera remplacée par une personne dont le profil sera spécialisé dans la diversité, selon le conservateur Lamarche. Le processus d’embauche reste à être lancé. « On vise un meilleur équilibre, dit-il. On veut donner la parole à des voix qui ont été moins présentes. Le musée se transforme et, au bout du processus, les communautés seront mieux servies. »

Photo: Denis Legendre MNBAQ «Substitute (La remplaçante)», Leila Zelli et Guillaume Pascale, 2019 © Leila Zelli

La valeur du partage

 

« Il y a engagement à maintenir l’enveloppe budgétaire et à soutenir le marché de la meilleure manière. C’est un premier soupir de soulagement, commente Julie Lacroix, directrice de l’AGAC, rassurée par un échange qu’elle a eu avec le musée. Toutes les acquisitions sont importantes. [La CPOA] a son importance. Les musées québécois qui achètent… Il n’y a pas beaucoup d’occasions. »

L’artiste Caroline Boileau a vucette occasion se concrétiser deux fois, en 2010 et en 2019. Les deux aquarelles acceptées par le jury de la CPOA sont d’ailleurs les seules œuvres d’elle que possède un musée. Non sans raison, elle a beaucoup d’estime pour cette collection, même si le processus pour y accéder s’apparentait à une loterie.

« C’est comme une demande de bourse. Nous sommes plusieurs à faire partie de l’écologie du milieu. Le processus est important. Que le musée achète ou non, le jury aura vu mes nouvelles séries », dit celle qui envoyait son dossier tous les deux ans.

Caroline Boileau appréciait l’aspect « vivant » de la collection, qui faisait circuler les œuvres plutôt que de les « accumuler dans des sous-sols ». La transformation, elle ne la voit pas d’un mauvais œil. « C’est intéressant qu’ils revoient le processus pour rester à l’affût du travail artistique. C’est bon de faire évoluer la façon de collectionner, surtout s’ils gardent l’idée du partage. C’est important. »

Julie Lacroix serait prête à participer à la réflexion. « Les galeristes sont de bons entrepreneurs. Si on peut donner un coup de main », dit la directrice de l’AGAC. Avec le télétravail et l’importance qu’a prise le bureau à la maison, la CPOA pourrait-elle louer ses œuvres aux individus ? C’est irréaliste, reconnaît Julie Lacroix, mais pourquoi ne pas rêver ?

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