Se remettre en marche

De Yann Pocreau, on propose des images réalisées en Espagne, la série «Se fueron los curas» (2007), qui découle d’un exercice où le corps de l’artiste tente de redonner vie à des architectures abandonnées, à Drummondville.
Photo: Frédéric Côté De Yann Pocreau, on propose des images réalisées en Espagne, la série «Se fueron los curas» (2007), qui découle d’un exercice où le corps de l’artiste tente de redonner vie à des architectures abandonnées, à Drummondville.

Difficile en 2020 d’entrer dans un musée ? Et si la seule autre option, au-delà des visites virtuelles, se trouvait dans l’espace public ? Concrétisés cet automne, deux cas permettent de se frotter à de l’inédit, qu’il soit reproduit en images ou coulé dans le béton depuis un quart de siècle.

Huit arrêts, huit propositions pour s’envoler du centre-ville de Drummondville. Ou, au contraire, pour nous y rattacher. La mise en place par la municipalité de l’exposition Musée à ciel ouvert confirme le sérieux d’accorder, dans le chef-lieu de la région du Centre-du-Québec, une place à l’art actuel. Elle survient un an après le changement de vocation de la galerie située à la Maison des arts, désormais vouée à cette frange de la création.

Avec ses huit œuvres, ou séries d’œuvres, accrochées sur des murs aveugles, Musée à ciel ouvert ne fait pas que reprendre un exercice mille fois vu en milieu urbain — l’installation sur panneaux de reproductions photographiques. Il y a un véritable souci qui semble dépasser le besoin d’animer l’espace public ou de raviver la vie commerciale.

Le parcours proposé sur 1,2 km tourne, il est vrai, autour de deux artères commerciales (les rues Lindsay et Brock). Sauf que les murs choisis sont rarement ceux de commerces, à l’exception d’une pâtisserie et d’une boutique de vêtements. Les façades principales, elles, n’ont pas été privilégiées. Bref, le lien entre l’activité marchande et le contenu artistique est mince.

Musée à ciel ouvert n’est pas tant une exposition temporaire qu’un projet pérenne, dont le contenu sera changé de manière régulière.

La nouvelle directrice du service municipal Arts, culture et bibliothèque, l’ex-galeriste Émilie Grandmont-Bérubé, parle même d’ajouter des arrêts aux huit premiers. Les structures murales ou ancrées au sol ont été conçues à ces fins, et sont là pour de bon.

Un centre-ville d’art

Il y a de belles surprises dans ce que le comité de sélection de sept experts a retenu en pigeant dans un lot de 70 dossiers. Derrière une clinique de santé, sur le mur donnant sur un stationnement, surgit ainsi une vue d’un intérieur richement décoré et dominé par la figure d’un énorme requin. Il s’agit de la photographie Une auberge étrange proche d’un marché aux puces (2015) de Thibaut Ketterer. L’œuvre est tirée d’une série sur la vie en milieu rural et réalisée sur la Côte-Nord.

À l’instar de Ketterer, bon nombre des artistes de Musée à ciel ouvert sont méconnus. La seule Drummondvilloise du lot, et seule peintre, Roxanne Thibault ne bénéficie cependant pas de la plus belle vitrine, tant son œuvre se retrouve dans un espace densément peuplé. Loin des yeux, sa peinture, qui déjà perd un peu de ses textures dans une reproduction photographique, ne sert qu’à colorer la grisaille autour d’elle.

Photo: Ville de Longueuil Joëlle Morosoli, «De cuivre et de chimère», 1995, à Longueuil

Un meilleur sort a été réservé aux Solitudes (2017) d’Estela López Solís, la seule autre artiste qui n’est pas photographe. Portée par le thème de la migration, la série de dessins à l’encre est placée au niveau du trottoir, rue des Forges. Les figures dessinées accompagnent la marche des piétons, un rapprochement qui se fait en douceur par la teneur épurée des compositions.

Soignée, la mise en place des œuvres propose un beau mariage entre art et architecture. Les trois Solitudes de López Solís répondent par exemple au trio de fenêtres au-dessus d’elles, un contexte inusité qui insiste sur l’attention qu’on devrait porter aux populations migrantes.

Le clou de cette exposition de longue durée se trouve sur les murs secondaires du cinéma de style Art déco — un bâtiment cité par Québec, avec les œuvres de François Mathieu et de Yann Pocreau. Le premier, sculpteur avant tout, propose la version en image d’un objet conçu comme décor de théâtre, jamais livré. La photo Délamination (2009) en est, par défaut, son ultime mise en scène.

De Yann Pocreau, artiste de la lumière, pas seulement de la photo, on propose des images qui l’ont révélé à l’époque où il était défendu par la galerie Liliane Rodriguez, enseigne montréalaise pratiquement disparue. Réalisée en Espagne, la série Se fueron los curas (2007) découle d’un exercice où le corps de l’artiste tente de redonner vie à des architectures abandonnées.

Musée à ciel ouvert n’est pas né avec l’obsession de la nouveauté. Il prône plutôt la réinterprétation, la relecture. Celle du centre-ville, comme autre chose qu’une série de commerces. Celle d’œuvres déjà existantes, qui gagnent, comme chez Mathieu et Pocreau, à être associées à un cinéma. Agrandies et adossées au bâtiment à la manière d’affiches de films, les photographies de Se fueron los curas prennent valeur d’une pièce de répertoire.

Longueuil et son symposium féminin

 

L’art public a parfois la vie dure, même lorsqu’un ensemble d’œuvres surgit d’une initiative noble et sérieuse. Qui se souvient du premier (et seul ?) symposium de sculpture tout féminin tenu en 1995 au parc Marie-Victorin de Longueuil ? À l’époque, la critique de Voir Marie-Michèle Cron soulignait que ces femmes contournaient la question de la « sculpture phallocrate » en jouant « la carte du tendre ».

Photo: Ville de Longueuil À Longueuil, l’oeuvre «Labyrinthide» (1995) de Michèle Tremblay-Gillon se présente comme un ensemble funéraire, circulaire, qui appelle au repos.

Depuis, deux des sept œuvres réalisées là, sur les berges du fleuve, ont disparu — celles des réputées Linda Covit et de Francine Larivée. Deux autres viennent cependant d’être restaurées, redonnant vie au symposium. Il ne manque que la mise à neuf du panneau explicatif.

L’œuvre Labyrinthide de Michèle Tremblay-Gillon se présente comme un ensemble funéraire, circulaire, qui appelle au repos. Essentiellement en béton, y compris au niveau de dessins rouges au sol, la sculpture ne porte plus les traces d’usure qui la fracturaient. Le gros changement concerne l’œuvre cinétique de Joëlle Morosoli.

Sculpture verticale coiffée d’une tête mi-humaine, mi-animale, De cuivre et de chimère, dans son lent mouvement, simule les flots de l’eau. La restauration visait à remettre son moteur en marche.

Pour des raisons de préservation, l’œuvre n’est activée qu’aux heures de grande fréquentation du parc. Ce qui exclut la saison hivernale. L’œuvre vient donc de rentrer à nouveau en dormance.

 

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