Regard inédit sur le Nordique Jean-Paul Riopelle au MBAM

La longue histoire qui lie Jean-Paul Riopelle au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) est une affaire de premières. L’exposition Riopelle : à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones poursuit ce que l’établissement a entrepris en 1963, alors premier musée à acquérir une peinture de l’artiste québécois.
Déjà, en 1991, une expo simplement intitulée Riopelle inaugurait le pavillon construit par Moshe Safdie. Celle qui était présentée virtuellement à la presse mercredi, pandémie oblige, ouvre l’ère Stéphane Aquin, nommé directeur cet automne en remplacement de Nathalie Bondil. Il faisait sa première sortie publique depuis l’annonce de l’abandon de l’aile Riopelle, projet mené par le musée avec la fondation de l’artiste. Ni le nom Bondil ni l’aile Riopelle n’ont été évoqués.
« On essaie de collaborer et d’explorer avec la Fondation Riopelle [pour] établir une maison forte, a précisé par la suite Stéphane Aquin. [L’abandon de l’aile] ne remet pas en cause notre dévouement pour Riopelle et pour [sa] fondation. Nous sommes d’office amis et partenaires dans cette mission. »
Conçue par trois commissaires — Andréanne Roy, historienne de l’art indépendante, Jacques Desrochers, conservateur au MBAM, et Yseult Riopelle, chercheuse et fille de l’artiste —, la nouvelle expo scrute, pour la première fois, les rapports du monstre sacré de l’art québécois avec la nordicité et l’autochtonie. Elle innove en particulier par l’inclusion de la littérature scientifique qui a nourri Riopelle, celle des Marius Barbeau, Guy Mary-Rousselière et autres Claude Lévi-Strauss.

« Nous sommes le musée qui a rendu à Riopelle la place la plus grande, celle qui lui est due », prétend le désormais directeur Aquin. Depuis l’achat de l’huile Autriche, en 1963, près de 400 œuvres du maître ont été acquises par le musée, qui lui a consacré deux rétrospectives, en 2002 et en 2006. Avec ses 160 œuvres et 150 artefacts, Riopelle : à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones est de cette envergure.
« Contrairement aux expos précédentes, dit cependant l’ancien conservateur de l’art contemporain, celle-ci présente une lecture de fond, fondamentale. Elle montre que Riopelle n’est pas seulement un homme de nature, mais de culture, en phase avec les recherches et les interrogations intellectuelles de son époque. »
Deux quêtes sur la nordicité chez Riopelle sont à la source de l’exposition : celle menée depuis plus de quinze ans par Yseult Riopelle et celle plus récente du MBAM. Les recherches se sont concentrées sur les décennies 1950, 1960 et 1970.
Un puzzle
« J’ai découvert des choses à la Fondation Joan Mitchell (peintre et compagne de Riopelle) que j’avais du mal à situer, puis j’ai découvert, à la bibliothèque Kandinsky, à Paris, d’autres choses qui m’ont permis de faire des liens. C’est un puzzle pour lequel il fallait mettre les choses ensemble », raconte Yseult Riopelle, en donnant l’exemple d’une correspondance qui révèle l’intérêt du peintre pour les écrits sur les cultures de la côte Nord-Ouest du Pacifique de l’anthropologue québécois Marius Barbeau.
En 2016, le MBAM avait émis l’idée d’honorer la philanthropie par la « figure de Champlain Charest », compagnon de chasse et de pêche de Riopelle. Dans les années 1970, les deux hommes ont séjourné plus d’une fois au Nunavik.
« On a pu faire des parallèles entre les territoires visités et les œuvres, explique Andréanne Roy. On a alors voulu élargir et parler du rapport de Riopelle à la nordicité. On est partis à la recherche de ses sources d’inspiration. »
Le résultat, qui ne sera à voir en vrai que lorsque le MBAM sera autorisé à rouvrir ses portes, comprend des séries emblématiques : les bronzes Hiboux (1973), les œuvres sur papier Rois de Thulé (1973), les huiles Icebergs (1977)… « Les Icebergs, où Riopelle, avec une économie de moyens chromatiques, note Andréanne Roy, représente les nuances du paysage nordique, sont fascinants, oscillent entre la figuration et l’abstraction. »
Jamais présentée au Québec, l’immense Point de rencontre (1963) fait partie de la sélection. Réalisée pour l’aéroport de Toronto — « point de rencontre », en langue huronne —, mais restée à Paris, à l’Opéra Bastille, cette peinture en cinq panneaux ouvre l’expo.
Le regard inédit mis en place a aussi la particularité de déborder du cadre Riopelle. Autour de 110 de ses œuvres, les commissaires proposent celles d’artistes autochtones, autant des pièces « historiques » des communautés yupik, kwakwaka’wakw et tlingit que des contemporaines d’artistes inuits. Parler d’autochtonie sans les autochtones n’aurait pas été acceptable.
Le MBAM a passé une commande à l’artiste tlingit Alison Bremner. Son évocation du potlatch prisé chez les peuples du Nord-Ouest confronte la collection de masques et de photographies de Georges Duthuit, figure parisienne influente auprès de Riopelle.
« Toute une filiation de documents et d’œuvres nous a amenés à justifier ce regard critique d’une artiste autochtone contemporaine », reconnaît Jacques Desrochers. Le catalogue de 272 pages comprend lui un nombre important de textes, dont certains d’auteurs autochtones.
En attendant la réouverture du Musée des beaux-arts de Montréal, Riopelle : à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones sera accessible virtuellement et gratuitement dès le 1er décembre.