Cinq escales salutaires en zone rouge

Détail de l'oeuvre «Ondes» (2005)
de Marie-France Brière
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Détail de l'oeuvre «Ondes» (2005) de Marie-France Brière

Au moment où les « sorties culturelles » sont proscrites, les oeuvres d’art dans l’espace public gagnent à être vues et revues. Montréal en regorge ; une excellente raison d’aller prendre l’air sans compromettre l’effort collectif dans la lutte contre la COVID-19. Qu’elles ouvrent des perspectives ou éveillent des sons en nous, les cinq sculptures de ce nouveau circuit ont la capacité de nous faire voyager. Même littéralement, tant les deux extrémités sont distantes. Second de deux textes.​

Illustration: Le Devoir Second circuit à découvrir, de LaSalle à Mercier

1. Au grand dam (2016) de Jacques Bilodeau et Claude Cormier et associés

Elle a de la classe, du rythme et, malgré un apparent minimalisme, un potentiel narratif prompt à nous envoyer ailleurs. Sur l’eau, pour être précis. Sa succession de marbres blancs, couchés ou debout, fait d’Au grand dam un rendez-vous nécessaire en temps de confinement. Contemplative et participative, elle stimule autant l’imaginaire que le corps.

Par un jeu de verticales et d’horizontales digne du mouvement des vagues, l’œuvre résonne avec le parc des Rapides de l’arrondissement de LaSalle, où elle est située (près de la rue Lacharité). Or, l’ensemble de Jacques Bilodeau, réalisé avec une firme d’architectes paysagistes, fait plus qu’indiquer le Saint-Laurent, juste devant lui.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Au grand dam» (2016) de Jacques Bilodeau et Claude Cormier et associés

Ses lignes obliques, plutôt que simples verticales, tanguent. Elles poussent, comme un courant. Le déplacement n’est pas qu’illusion. Monter sur le marbre, parce qu’on peut y monter, impose marche, grands pas, sauts. Si de loin Au grand dam peut simuler la violence — le marbre semble s’extirper du sol avec fougue —, de près, ce sont la douceur du matériau et le bonheur de l’expérimentation qui dominent.

2. Ondes (2005) de Marie-France Brière

C’est un tout autre envol qu’on prend du centre-ville. Au cœur du tumulte urbain, devant le pavillon de musique de l’Université McGill (527, rue Sherbrooke Ouest), le voyage sonore est possible. Empreint de poésie, il se matérialise sur et à travers un bloc en granit. C’est la force d’Ondes, réalisée dans le cadre de la politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement.

Le bloc a des apparences trompeuses. Son allure massive s’estompe dès qu’on s’en approche, qu’on l’observe. Sur deux côtés apparaissent des ondes, lignes sinueuses creusées à même la roche. Marie-France Brière n’y a pas dessiné une partition, mais la réverbération d’un son imaginaire. Ou est-ce celui de la rue ?

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Ondes» (2005) de Marie-France Brière

En plus de se poser en écho au bruit ambiant et au bâtiment qu’il « intègre », Ondes est aussi miroir visuel. De jour ou de nuit, la lumière qui transperce le bloc magnifie quant à elle certaines lignes, jamais les mêmes, tant les environs, rue Sherbrooke, changent. Comme une variation sur le même ton.

3. Porte de jour (2004) de Jocelyne Alloucherie

 

Pour jouer les touristes dans sa ville, la population montréalaise se rend sans hésiter dans le Vieux-Montréal. Pour un voyage dans le temps, il n’y a pas mieux. C’est sans surprise si une œuvre dans le secteur en reprend l’idée. Ce qu’on y trouve cependant au square Dalhousie (rue Saint-Hubert, « sous » la rue Notre-Dame Est) n’a rien de l’attrape-touristes. La sculpture est signée Jocelyne Alloucherie, connue pour son soin à traiter du paysage et du passage du temps.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Porte de jour» (2004) de Jocelyne Alloucherie

Réalisée en corten, acier apprécié pour sa rouille apparente, Porte de jour se dresse en monument historique. Elle ne commémore pourtant ni un personnage ni un fait. Elle est libre d’interprétation, bien que la hauteur et l’épaisseur des structures rappellent les murs de jadis, entre la ville et ses faubourgs.

Si le corten établit un contraste avec le secteur résidentiel neuf qui y a poussé, la forme donne à l’œuvre son statut de passage. C’est une porte, dit son titre, mais une porte ouverte, laissant voir l’horizon, un avenir possible. Ça va bien aller, paraît-il.

4. Mélangez le tout (2011) de Cooke-Sasseville

 

Hors-norme, hors de l’esthétique minimaliste de ce circuit, Mélangez le tout invite tout autant à rêver qu’à s’éclater. Le sujet représenté peut être tiré du quotidien — un reconnaissable batteur à œufs —, sa taille démesurée en fait un objet irréel. Aucun doute : ce monument du quartier Centre-Sud célèbre… le temps présent. Il pointe la mixité de nos sociétés actuelles et la mission communautaire du centre Jean-Claude Malépart (2633, Ontario Est), aux côtés duquel il s’élève.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Mélangez le tout» (2011) de Cooke-Sasseville

Humour et langage pop sont des caractéristiques de Cooke-Sasseville, un duo qui n’a pas peur de rompre avec les traditions, à la manière de ce que faisait Claes Oldenburg dans les années 1960 et 1970. Moins polémique que les rouges à lèvres géants du sculpteur américain, Mélangez le tout joue les rassembleurs sans vergogne.

La référence à la cuisine dans l’espace public surprendra toujours, mais cette œuvre ne pouvait pas être plus d’actualité qu’en 2020. En temps de confinement, les activités culinaires n’ont-elles pas gagné en popularité ?

5. Continuum 2009 (à la mémoire de Pierre Perrault) (2009) de Roland Poulin

Sculpteur de la sobriété et du silence, pour ne pas dire du deuil, Roland Poulin rend hommage au cinéaste québécois sans l’évoquer (sauf dans le titre). Voici une autre œuvre en corten, dotée de son ouverture sur un large horizon, une autre œuvre pointant le fleuve à proximité.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Continuum 2009 (à la mémoire de Pierre Perrault)» (2009) de Roland Poulin

Le parc de la Promenade-Bellerive, dans le secteur le plus à l’est de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, offre un cadre solennel pour saluer un disparu. C’est là que se dresse Continuum 2009 (à la mémoire de Pierre Perrault), entre les rues Paul-Pau et Taillon.

Dans sa commémoration, Poulin évoque le père du cinéma direct décédé en 1999 et son approche de proximité avec les gens qu’il filme. La fenêtre de Continuum…, tel un cadre au cinéma, montre l’environnement dans lequel l’œuvre se trouve, sans exclure le hors-champ. Comme Pour la suite du monde, l’œuvre invite à faire d’un paysage, d’un site, de la nature, le sens d’une vie, une raison d’espérer. Pour se ressourcer, il n’y a peut-être pas mieux.



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