Quand l’époque expose ses fragilités

L’art contemporain n’est pas exempt de grand(e)s paysagistes. Au Québec, on compte ainsi sur la photographe et vidéaste Isabelle Hayeur. Après vingt ans de carrière, l’artiste
est l’objet d’une rétrospective étalée en trois régions, conçue par Mona Hakim, commissaire experte en photo. Notre photo: «Dérive/Adrift», 2012-2019, images d’une vidéo.
Photo: Caroline Hayeur L’art contemporain n’est pas exempt de grand(e)s paysagistes. Au Québec, on compte ainsi sur la photographe et vidéaste Isabelle Hayeur. Après vingt ans de carrière, l’artiste est l’objet d’une rétrospective étalée en trois régions, conçue par Mona Hakim, commissaire experte en photo. Notre photo: «Dérive/Adrift», 2012-2019, images d’une vidéo.

La première rentrée post-confinement peut faire saliver : enfin, un semblant de normalité semble se profiler dans nos galeries et musées. Dans le Québec des arts visuels, une autre après-crise est aussi très attendue. Comment le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) sortira-t-il du médiatisé renvoi de celle qui le dirigeait depuis plus de dix ans ?

En quête d’une nouvelle paix et d’une nouvelle tête dirigeante, le MBAM se trouve dans un entre-deux, avec une programmation prévue depuis longtemps. Pour panser les plaies, on mise sur une figure québécoise rassembleuse : Jean-Paul Riopelle.

Première rétrospective de l’artiste au MBAM depuis sa mort en 2002, Riopelle. À la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones (21 novembre), s’annonce incontournable. La nature inédite du propos (la nordicité et l’autochtonie chez Riopelle) et l’ampleur de la chose (175 œuvres, 200 artefacts et documents) en font foi. Des pièces majeures de ce passionné de chasse et de pêche seront accompagnées, dans un plus grand souci d’inclusion, de celles d’artistes autochtones, à la source de son imaginaire.

Paysages et interrogations

 

Dans le même esprit d’hommage à un amoureux de la nature, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) vise à ramener les foules avec un maître du romantisme du XIXe siècle : l’Anglais J. M. W. Turner. Expo initialement estivale, Turner et le sublime (15 octobre) rassemble 77 œuvres du peintre de la brume, avec l’appui de la Tate de Londres.

L’art contemporain n’est pas exempt de grand(e)s paysagistes. Au Québec, on compte ainsi sur la photographe et vidéaste Isabelle Hayeur. Après vingt ans de carrière, l’artiste est l’objet d’une rétrospective étalée en trois régions, conçue par Mona Hakim, commissaire experte en photo. La triple exposition (D)énoncer met en valeur le regard critique de celle qui n’a jamais caché ses couleurs environnementalistes. À la galerie Antoine-Sirois de l’Université Sherbrooke (28 octobre), son implication auprès de militants sera à l’honneur avec une série sur les conséquences de l’hydroélectricité. Plein sud(12 septembre), centre sis au cégep de Longueuil, parlera des impacts de l’industrie pétrolière. La salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval (13 septembre) réunira les œuvres qui explorent des sites naturels excavés ou des zones urbaines perturbées.

Le diffuseur lavallois a chapeauté sa programmation 2020-2021 de l’intitulé « Observer le monde autrement… », en écho aux enjeux encore plus préoccupants « depuis que la pandémie a modifié nos modes de vie ». Les comportements humains et le chaos matériel sont au cœur des pratiques deFanny Mesnard, de Christian Barré et de Suzanne Joos, au calendrier automnal.

Depuis quelque temps, la fragilité des territoires pousse le Centre canadien d’architecture (CCA) remettre en question l’art de bâtir. Ça se poursuit avec Les choses qui nous entourent (16 septembre), expo sur deux firmes actives en Chine, en Mongolie et en Europe.

Photo: Guy L'Heureux Serge Murphy, «Carnaval», 2015

Rescapées et en route

 

Comme Turner et le sublime, bien des expos victimes de la pandémie renaissent cet automne. Signalons celle au titre prédestiné, Survivance, du peintre Manuel Mathieu (au MBAM, 17 septembre) et l’exposition de Caroline Cloutier et Marie-Claire Blais, issue d’une résidence des deux artistes à la Fondation Molinari (26 septembre).

À la galerie d’art Desjardins de Drummondville, le projet Excentrer de quatre diffuseurs montréalais aurait déjà dû être fini. Suspendue, la quatrième et dernière expo, Espaces identitaires, vient d’être inaugurée. Les artistes Randa Maddah, Émilie Serri, Guillermo Trejo et Kim Waldron y scrutent les concepts de « citoyen du monde » ou de mondialisation.

Condamnée pendant la pandémie à quitter son local du Belgo, La Castiglione se tourne vers le nomadisme. La galerie spécialisée en photo peut s’estimer heureuse : d’inusités diffuseurs nés cet été accueillent deux de ses expos annulées. L’espace Produit rien, rue Marconi, accueille en septembre des scènes d’étrangeté captées par Laurence Hervieux Gosselin. Projet Casa, devant le parc Jeanne-Mance, présentera en octobre le travail de Hua Jin, porté par le côté méditatif de la nature.

À Saint-Hyacinthe, Expression accueille un projet des Territoires, autre organisme sans toit jadis situé au Belgo. L’expo Rencontre avec l’autre soi-même (19 septembre) renvoie aux notions de famille, de chez-soi et d’identité tel qu’explorées par naakita feldman-kiss, Julie Lequin et Bogdan Stoica.

Reportée aussi, la grande exposition sur Christian Dior qui devrait lancer l’été au Musée McCord. Conçue par le Musée royal de l’Ontario, la revoici prête à prendre son élan (25 septembre), forte entre autres des prêts de Dior Héritage.

Projets maison

 

Avec les mesures sanitaires qui font augmenter les budgets, les diffuseurs risquent de se tourner vers des expositions tirées de leurs collections, moins coûteuses. Cet automne, le Musée d’art contemporain(MAC), déjà un habitué de ce genre de projets, proposera en novembre les œuvres découlant de sa décision de n’acquérir que de l’art québécois en 2020.

La grosse expo de la saison du MAC renoue sinon avec l’époque des éphémères Triennales québécoises. La machine qui enseignait des airs aux oiseaux (8 octobre) est le résultat de visites « d’ateliers locaux ». Un lot de 34 artistes a été formé autour des thèmes du langage et du corps.

La Galerie de l’UQAM présente Repriser (18 septembre), une manière de revoir l’héritage artistique des 50 dernières années, en pointant le côté fait main chez de nombreux créateurs, dont Michel Goulet et Monique Régimbald-Zeiber. Que des œuvres de sa collection.

Autres 50 ans : ceux de l’École d’art de l’Université Laval, soulignés par sa galerie, d’ici à… 2022. À l’automne, deux solos lanceront le bal. Pour évoquer les années 1970, on fait appel en septembre à Serge Murphy, illustre défenseur de l’art à Québec et sculpteur de la fragilité. Suivront en novembre les années 1980, celles où James Partaik a mis en relief, par des interventions en milieu urbain, notre rapport aux technologies.

Des nouvelles de la Fondation Grantham

La pandémie n’a pas eu raison des résidences de la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement. Richard Ibghy et Marilou Lemmens ont passé l’été à explorer les environs, et le résultat aboutit en expo. Querelle entre deux puces pour savoir à qui appartient le chien sur lequel elles vivent (26 septembre) propose des oeuvres abordant l’appropriation, l’intensification et la financiarisation des terres agricoles.



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