Le «bébé» low-tech et toujours efficace de Diane Landry

Quand Peggy Gale, la commissaire de la Biennale de Montréal 2000, a sollicité Diane Landry, celle-ci lui a parlé de ce projet anthropomorphique. Elle comptait y parler, avec une famille de parapluies, de vie et de mort, d’éveil et de sommeil.
Photo: Francis Vachon Le Devoir Quand Peggy Gale, la commissaire de la Biennale de Montréal 2000, a sollicité Diane Landry, celle-ci lui a parlé de ce projet anthropomorphique. Elle comptait y parler, avec une famille de parapluies, de vie et de mort, d’éveil et de sommeil.

Elle a marqué les esprits une première fois, jadis. Vous l’aviez peut-être ratée, la (re)voilà sur un mur, sur le sol, ailleurs. Une oeuvre historique et, derrière elle, un(e) artiste. Le Devoir lance aujourd’hui une série d’entretiens autour d’oeuvres marquantes avec Diane Landry, dont l’École d’aviation s’expose à Québec, après un long tour du monde.

Diane Landry y pensait depuis un moment, faire une oeuvre sur la respiration, sur le temps et le double sens du mot. Le déclic est venu sous l’air maussade de l’automne. Pluie, journée grise et au sol, solitaire et abîmé… un parapluie.

« Il ne fait pas beau et je trouve dans la rue le parapluie noir. Il est abandonné, son manche est brisé, et je le ramasse, raconte l’artiste. C’est celui qui est toujours là, le plus haut. »

L’automne en question se déroulait à la fin du siècle dernier. Des décennies plus tard, le parapluie se trouve « toujours là », au coeur de l’installation École d’aviation. Lui et une vingtaine de ses semblables, mais tous différents, continuent à s’ouvrir et à se fermer, au rythme d’un souffle bien sonore. Le lent mouvement, les projections d’ombre, des objets du quotidien, un mécanisme rudimentaire… la signature Landry est toute là.

L’oeuvre a été créée lors de la deuxième Biennale de Montréal, tenue en l’an 2000 dans le semi-abandonné site de la future Grande Bibliothèque. Depuis, elle a mille fois été exposée, a voyagé partout dans le monde et vient d’atterrir à Québec, à quelques maisons du domicile de son autrice. Présentée dans le cadre du Mois Multi, École d’aviation s’anime encore pour quelques jours à L’oeil de poisson, centre de la coopérative Méduse.

« Les nombreuses expositions qu’a générées et génère École d’aviation m’ont amenée à découvrir la réponse universelle qu’elle suscite à travers différentes cultures. La beauté de l’ordinaire avait sa place et touchait les gens », confie l’expérimentée artiste, qui espère que chacune de ses oeuvres dépasse « ses anecdotes personnelles ». « Avec le temps, va-t-elle toujours dire des choses ? », demande-t-elle, bien humblement.

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Inspirer et expirer

C’est un cumul d’idées et d’expériences qui ont mis la table à École d’aviation. Quand Peggy Gale, la commissaire de la Biennale, a sollicité Diane Landry, celle-ci lui a parlé de ce projet anthropomorphique. Elle comptait y parler, avec une famille de parapluies, de vie et de mort, d’éveil et de sommeil. « J’avais fait une performance où j’amplifiais ma respiration avec un harmonica. C’était l’idée d’inspirer et d’expirer », dit celle qui peu à peu avait perfectionné ses traficotages mécaniques. L’harmonica a été remplacé par des accordéons, qu’elle a elle-même confectionnés.

La musique à deux notes s’arrime au mouvement des parapluies, et à leur éclairage changeant. L’ensemble, une séquence de 20 minutes, possède ses moments sombres et presque silencieux.

« On arrive à la pleine lumière », dit Diane Landry, qui s’interrompt avant de reprendre. « Les parapluies sont tous en vie, puis ils meurent et renaissent. C’est l’idée. Mais ils ne meurent jamais en même temps. »

L’artiste ne peut s’empêcher de les voir comme des humains. Elle ira jusqu’à désigner l’oeuvre comme « son bébé ». Bien qu’elle n’ait pas été achetée, École d’aviation a connu un si grand succès que Diane Landry a eu le loisir (financier) de ne pas trop « éparpiller [son] énergie dans un travail alimentaire ». L’oeuvre lui a apporté liberté et assurance.

Apaisante

 

L’installation cinétique — et une des premières sonores de l’artiste — est née au moment où sa « maman » passait un dur moment. Le « mauvais temps », c’est aussi dans la tête. Sans détailler ce qu’elle vivait, Diane Landry avoue avoir créé une béquille pour affronter la tempête.

« Les gens me disent que l’oeuvre [les pousse dans] la méditation, l’apaisement, que le son aide à ça. Ça doit être vrai alors, ce n’est pas juste dans ma tête », dit-elle, soulagée et surprise. Elle évoque le cas d’un urgentologue qui passait quotidiennement une heure devant l’oeuvre au musée de Sarnia, en Ontario, où elle était exposée en 2019. Un moyen de faire le vide après une journée de travail.

J’avais envie d’une dose d’espoir, de sérénité. L’oeuvre offre une espèce de pause des revendications sociales, un moment où l’on respire avec elle.

 

Jeanne Couture n’est pas médecin. C’est elle, historienne de l’art dans la jeune trentaine, qui a voulu ramener École d’aviation à Québec, 18 ans après son seul autre arrêt, déjà lors d’un Mois Multi. « J’avais envie d’une dose d’espoir, de sérénité, dit-elle. L’oeuvre offre une espèce de pause des revendications sociales, un moment où l’on respire avec elle. C’est une oeuvre qui fait du bien. »

La co-commissaire du Mois Multi 2020 ne connaissait l’oeuvre qu’à travers YouTube et les cours à l’Université Laval. Malgré la distance et les années, elle était impressionnée et voulait la montrer à sa propre génération. En outre, femme de son temps, Jeanne Couture a vu l’occasion là de faire un commentaire politique. « Une oeuvre importante, qui ne vieillit pas, mérite d’être revue, croit-elle. Les festivals nous habituent à des premières mondiales. Mais dans un contexte d’art durable, est-on obligé de voir la plus récente oeuvre d’un artiste ? »

École d’aviation plane encore grâce au même mécanisme low-tech de l’an 2000. Comme si ses moteurs d’antan ne cessaient de mourir, et de reprendre vie.

École d’aviation

De Diane Landry, à L’oeil de poisson, jusqu’au 23 février.



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