Faire image avec les processus

«Sans titre (série par-dessus/ dessous)», 2014, acrylique sur toile de coton et lin pliée, 114x92 cm.
Photo: Louis-Étienne Doré «Sans titre (série par-dessus/ dessous)», 2014, acrylique sur toile de coton et lin pliée, 114x92 cm.

Pour plusieurs artistes, l’exploration de la forme et du processus fonde encore le cœur de leur démarche. C’est le cas de Luce Meunier, dont une première exposition au caractère rétrospectif permet d’en prendre la mesure. Le survol de 15 ans de pratique présenté à la Maison de la culture Claude-Léveillée fait fi du parcours chronologique normalement attendu dans ce genre d’exercice pour lequel le progrès constitue souvent le moteur narratif.

Rien n’est moins vrai ici, où les séries, formant le corpus de l’artiste, sont fragmentées, révélant autant des variations, qui se font écho en sourdine, que la répétition obstinée d’éléments formels. Pas de place pour la progression linéaire dans le monde de cette artiste, qui évolue par à-coups et par cycles, une impression marquée par cette expo regroupant un échantillon d’exemples de sa production.

En choisissant l’abstraction, Meunier a développé un art qui met l’accent sur ce qui peut, avec une économie de moyens extrême, faire image. Les œuvres qu’elle propose réaffirment donc toutes la dimension processuelle qui les caractérise en tant que fabrications. Loin de tout révéler des procédés dont elles émanent, les productions se gardent bien également de retenir les propriétés d’une seule technique qu’elles épuiseraient dans un désir de purification, comme le voulait la peinture formaliste moderne, tradition que l’artiste poursuit néanmoins.

Se côtoient plutôt dans les œuvres des procédés pluriels, empruntés à la peinture, à la gravure, au pliage, au collage et à l’empreinte, par exemple. L’éventail des explorations trouve sa richesse dans le rejet des outils traditionnels ou dans l’usage non conventionnel des techniques. Alors qu’ils sont habituellement craints dans la gravure à l’eau-forte, les courants d’air sont visiblement les bienvenus dans une série d’aquatintes où s’étirent des stries verticales all over. L’air, l’eau, le souffle, dont fait état le titre, sont d’ailleurs donnés en indices quant au faire des œuvres.

Grilles affaissées

 

Les opérations variées pratiquées par l’artiste concourent à inscrire les marques du temps dans la matière, que ce soit par superposition ou par répétition, dans l’épaisseur ou dans l’étalement sur la surface. La série par dessus/dessous conjugue les effets, en jouant de plus avec le support, de la toile de coton plissée en accordéon ; l’acrylique vaporisée fait corps avec le tissu qui, lui, refuse de se tenir à plat.

Ce sont les conventions de la peinture moderniste que Meunier revisite continuellement, sans oublier le motif de la grille qui lui est emblématique.

 

Cette grille, l’artiste la tord, la fait dévier, lui donne un rôle structurant qu’elle défait aussitôt. Les tensions se multiplient alors entre opacité et transparence, dans les épaisseurs matérielles, suggérées ou réelles, des œuvres.

La toile, le plus souvent brute, sans apprêt, en lin ou en coton, s’expose non montée, parfois pliée et repliée, avec ses pourtours libres, même effilochés. L’artiste teste la limite entre la préciosité de l’objet et sa fragilité, un pari risqué.

Quand la peinture acrylique parcourt les plis, on dirait un tissu matelassé, référence qui s’ajoute à celles du rideau ou du drapé, que d’autres œuvres convoquent, ouvrant un dialogue formel avec les repères familiers de la tradition picturale, dont la métaphore de la fenêtre et la représentation du corps humain.

La vue d’ensemble montre la prédilection pour le noir et blanc. Les couleurs sont néanmoins de mise, dans les débuts comme plus récemment. Alors que la méthode et le contrôle sous-tendent beaucoup la pratique de Luce Meunier, l’accident, le hasard et l’abandon sont aussi présents, attestant d’une pratique d’atelier au plus près de l’expérimentation avec la matière, un ancrage notable en soi.

Meunier à la galerie

Ateliers créatifs et présence de l’artiste sont prévus au calendrier de cette expo qui, sans être didactique, réserve une place au processus de travail de l’artiste, dont la teneur se joue dans les expérimentations formelles. Ses oeuvres ont souvent été montrées dans des expositions de groupe inspirées de la tradition de la peinture abstraite. Luce Meunier fait partie des artistes retenus par la galerie Bradley-Ertaskiran, entité née de la fusion récente entre la Parisian Laundry et la galerie Antoine Ertaskiran qui la représentait depuis 2012.

Luce Meunier, récit d’un parcours plastique. Une exposition rétrospective 2004-2019

À la Maison de la culture Claude-Léveillée, 911, rue Jean-Talon Est, jusqu’au 26 janvier



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