L’art comme refuge pour le collectionneur

Lorsque Bruce Bailey était enfant, il n’y avait pas d’art sur les murs de la maison familiale. « Et c’est peut-être cette absence qui a créé en moi le désir d’art », dit aujourd’hui le mécène canadien, de la collection duquel le Musée des beaux-arts de Montréal présente une partie dans l’exposition Tant le moindre de mes atomes t’appartient intimement. « Dans ma tête, je me disais, j’aimerais vivre avec de l’art », dit-il.
Bailey, qui a récemment organisé une fête champêtre dans sa ferme ontarienne au profit du Musée des beaux-arts de Montréal, a acheté sa première oeuvre d’art alors qu’il était étudiant en droit à Halifax. Il s’agissait de Projection, une oeuvre de Michael Snow, réalisée en 1970, qui fait partie de l’exposition.
L’écologie artistique est très fragile au Canada
« J’avais gagné l’argent qu’il me fallait pour poursuivre et puis j’ai eu une bourse. J’ai décidé d’acheter des oeuvres d’art. On les a mises sur les murs de l’appartement que je partageais avec cinq autres personnes », raconte-t-il en entrevue. « Nous nous sentions très sophistiqués. Et ça faisait qu’on se sentait mieux. C’était en 1975. »

Bruce Bailey, qui fait désormais du droit commercial, possède aujourd’hui une collection de plusieurs centaines d’oeuvres, dont une série de Goya et des Rembrandt qui sont exposés au musée. Mais sa véritable passion, ce sont les artistes émergents, qu’il tente de repérer afin de les aider à faire leur chemin dans le monde de l’art.
« L’écologie artistique est très fragile au Canada », dit-il. Cela a été le cas notamment de l’artiste autochtone Kent Monkman. « J’ai d’abord acheté une de ses oeuvres dans un encan de charité à Toronto, raconte Bailey. À l’époque, Monkman était très pauvre. Il n’y arrivait plus. » Bailey a notamment organisé pour lui une exposition solo, et son jeune protégé jouit désormais d’une réputation internationale. « Ce qui m’intéresse, c’est d’acheter des oeuvres d’artistes émergents, pendant que leurs oeuvres sont moins chères », explique-t-il.

Contrairement à d’autres collectionneurs, Bruce Bailey ne fait appel à aucun conseiller en matière d’art. « Je me bouche les oreilles », dit-il. Lui seul décide des oeuvres dont il fait l’acquisition.
Pour Mary-Dailey Desmarais, commissaire de l’exposition, la collection de Bruce Bailey illustre une beauté tragique, conjuguée à un humour certain. C’est elle qui a intitulé l’exposition : « Tant le moindre de mes atomes t’appartient intimement », empruntant une citation de Walt Whitman.
« Le problème, chez moi, c’est que je n’ai jamais vu toutes ces oeuvres ensemble », dit le collectionneur, qui ne tarit pas d’éloges envers Nathalie Bondil, directrice du MBAM, et la commissaire, Mary-Dailey Desmarais, qu’il n’hésite pas à désigner comme faisant partie des meilleurs commissaires d’art au monde.
Ainsi, la pièce Lune, de Kiki Smith, par sa taille, ne peut être présentée que dans une galerie ou un musée.

Même s’il siège au comité d’acquisitions des oeuvres étrangères du MBAM, Bruce Bailey demeure passionné d’art canadien. Il considère d’ailleurs la toile Arbre à angle droit, de Paterson Ewen, qui est présentée dans l’exposition, comme un portrait de lui-même. Dans le court métrage, The Last Salonnier, de Paul Sam Johnston, qui dresse un portrait de Bruce Bailey comme collectionneur et comme acteur du monde de l’art, on aborde le suicide de sa mère et son parcours ardu dans le monde de la finance en tant qu’homosexuel assumé. Dans ce contexte, l’art a été « un refuge », dit-il.
Un jour, Bruce Bailey en est venu à s’interroger sur le moment où commence l’art contemporain. « Je me suis dit que Goya était le premier artiste contemporain. Il me semblait tellement contemporain. C’était un critique social, anticlérical », dit-il. C’est de là que vient l’impressionnante collection d’eaux-fortes de Goya qu’il détient, et qu’on peut voir au MBAM.