Dans les arcanes du «road trip» de Marie-Christiane Mathieu

Vues de l'exposition «Toujours plus à l'ouest»
Photo: Marie-Christiane Mathieu Vues de l'exposition «Toujours plus à l'ouest»

La route demeure un motif de prédilection dans la création et le road trip un mode de captation encore emprunté par les artistes qui en renouvellent sans cesse la formule. La production de Marie-Christiane Mathieu s’inscrit dans cette veine depuis 2012, alors que des raisons professionnelles et personnelles lui font régulièrement prendre la route, que ce soit entre Montréal et Québec, ou en direction de New York, mais aussi sur la 132 et la Transcanadienne. Ce mode de vie a carrément orienté la pratique de l’artiste dans une nouvelle direction que permet de saisir l’actuelle exposition, la première en solo à Montréal depuis 2011. Il est heureux de la retrouver.

Mathieu a transformé un camion en atelier afin de concilier sa mobilité accrue avec la poursuite d’une production artistique qui conserve de ses travaux antérieurs l’attrait pour les dispositifs de vision et les phénomènes optiques. Elle a cependant en partie délaissé les outils numériques qu’elle faisait siens auparavant au profit du plus simple appareil qu’est le sténopé, aménagé à même le camion utilisé pour ses déplacements.

Photo: Marie-Christiane Mathieu

C’est avec cette chambre noire de fortune qu’elle a produit les photos exposées, des vues de paysages aux abords des routes parcourues et de terrains de camping qui laissent deviner le voisinage de roulottes ou du géant américain de la grande distribution qui les accueille sur ses stationnements. Les kilomètres parcourus ont également permis de capter des ondes radio, des vidéos ainsi que d’autres images, des données dépassant le présent corpus qui, lui, est ciblé autour de la traversée du Canada que l’artiste a faite en duo avec l’artiste Geneviève Gasse.

Fascination

 

Les tirages sont présentés dans une installation qui se déploie sur une surface de bois dont le format est à l’image des panneaux publicitaires rencontrés sur la route. Plus qu’un simple support d’exposition, la paroi esquisse dans l’espace une trajectoire, évocatrice de la route, qui structure aussi deux faces qui séparent, d’un côté, les photos et, de l’autre, des artefacts et des reliques témoignant du parcours et de son organisation quotidienne. Quelques vêtements et plusieurs cartes de campings ou de parcs esquissent par exemple le territoire de cette aventure à la finalité imprécise. Dos à dos, les faces de l’installation reprennent la frontière séparant l’habitacle du paysage, l’intérieur depuis lequel la capture des traces fut sécrétée de l’extérieur observé.

Photo: Marie-Christiane Mathieu

Pris à l’aveugle par le dispositif dont le caractère primitif est particulièrement révélé dans une des images présentées, les paysages n’ont rien à voir avec l’imagerie des territoires désormais ratissés par Google et les techniques de géolocalisation. Tout au contraire. Les procédés choisis pour rendre compte de l’expérience de ce road trip insufflent un aspect artisanal qui, sans être nostalgique, redonne au voyage et à la production d’images leur pouvoir de fascination d’antan, laissé quasi intact malgré les bouleversements connus, en matière principalement de technologies.

Malgré cette impression d’être ancrée dans un autre âge technologique, l’exposition fait entendre les tensions de mondes et de générations distincts qui se rencontrent. En partie autobiographique, ce road trip mène à des récits pluriels qui embrouillent finalement les pistes. Aux photos et aux artefacts présentés s’ajoute un livre d’artiste qui intègre un texte de fiction de Simon Harel, autre complice. Son personnage masculin chérit les bootlegs sur cassette des Grateful Dead, alors qu’il est convoyé avec d’autres ouvriers vers les mines pour y travailler. Les sites industriels sont comme la bande magnétique, en voie d’être supplantés, épuisés, faute d’être soignés. Tout en réactivant le mythe du road trip, cette expo fait donc la critique fascinée des transformations profondes qui façonnent nos rapports au paysage, dans les loisirs comme le travail.

Toujours plus à l’ouest 

De Marie-Christiane Mathieu, avec la collaboration de Geneviève Gasse et Simon Harel. À la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, 465, avenue du Mont-Royal Est, jusqu’au 8 décembre.

 

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