Guérir par la parole les plaies laissées par la tuerie de Polytechnique

Elles se sont tues pour toujours, mais d’autres femmes parlent aujourd’hui à leur place. L’artiste Diane Trépanière, par exemple, qui, hantée par le souvenir de la tuerie de Polytechnique du 6 décembre 1989, y consacre depuis exposition après exposition.
Dans les locaux du Livart, rue Saint-Denis, elle présente cette année le fruit de son travail, Un cri, un chant, des voix, dans le cadre d’une série d’événements entourant le 30e anniversaire de l’événement.
Et dans ce travail, il y a de l’espoir, dit-elle.
L’espoir, il est dans la parole des femmes, croit-elle, et de la société entière qui reconnaît enfin publiquement la nature profondément misogyne de l’événement. Sur le panneau de commémoration de l’événement, sur laPlace du 6-décembre-1989, on lira d’ailleurs désormais explicitement que les « victimes » étaient des « femmes », et que la « tragédie » était un « attentat antiféministe ».
Nommer la violence faite aux femmes et la dénoncer, c’est ce qui est porteur d’espoir pour Diane Trépanière. Dans la succession de salles qui forment l’expo, elle a affiché des poèmes de femmes aux côtés de ses photographies. « En devenant visible et en s’exposant sur la place publique, chaque mémoire de femme contribue à élargir notre champ de vision », écrit Nicole Brossard, dont le texte a été gravé dans un miroir.
Dans une autre pièce, Diane Trépanière reprend l’idée du REDress project, de l’artiste autochtone Jaime Black, par lequel des robes rouges symbolisent des femmes assassinées ou disparues. Dans la pièce principale, on retrouve notamment la stèle que Diane Trépanière a conçue à la mémoire des victimes de la tuerie de Polytechnique.
Les femmes parlent davantage donc, mais la violence ne recule peut-être pas, selon Sylvie Haviernick, la soeur de Maud, l’une des victimes du 6 décembre 1989.
Maud Havierncik venait de faire sa présentation en génie des matériaux, le 6 décembre 1989, lorsque Marc Lépine est entré dans sa salle de classe et a abattu plusieurs femmes présentes.
Impliquée dans des groupes de femmes, Sylvie Haviernick était déjà active au sein du centre des femmes du Plateau au moment des événements. « Ce que l’on entend dans les centres de femmes, c’est qu’il y a beaucoup de violence, chez les jeunes femmes et chez les jeunes hommes », dit -elle.
C’est Sylvie Haviernick qui est à l’origine de l’exposition du Livart, ainsi que de la programmation d’événement qui l’entourent. Au cours du week-end, on pourra y voir des performances des artistes Matilde Benignus, Suzanne Boisvert et Jasmine Dessureault. La danseuse Louise Bédard et la violoncelliste Anna Burden présenteront un extrait de Braise blanche, une pièce conçue en 1990 en réaction à la tuerie.
Dimanche, Sue Montgomery, mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce et instigatrice du mouvement #agressionnondénoncée, rencontrera le public. Par le biais d’un tricot bicolore, qui fait partie de l’exposition, Mme Montgomery a démontré que les femmes prennent moins souvent la parole que les hommes lors des séances du Conseil municipal.
Espoir
Sur l’un des murs du Livart, ASSISE, une exposition de photos prises par Mireille Proulx, soulève l’optimisme. Mireille Proulx a photographié 15 étudiantes inscrites aujourd’hui à l’École Polytechnique.
« À la Polytechnique, on a atteint presque 30 % de filles cette année, dit Béatrice Lafaille, en première année de génie aérospatial.
« La Polytechnique essaie vraiment d’encourager les filles en créant des groupes de soutien ou en offrant des conférences avec d’anciennes étudiantes ou avec des cheffes d’entreprise, mais je trouve qu’il n’y en a toujours pas assez », poursuit Zeïneb Marmissi, étudiante de 2e année en génie électrique.
Autre signe d’espoir, et de résistance, depuis 1989, la proportion de filles inscrites à l’École Polytechnique n’a pas cessé d’augmenter.