Jocelyn Robert, au-delà du consensus

Artiste du son et de l’image ayant un fort penchant pour la musique et l’art informatique, Jocelyn Robert a droit à une vaste exposition individuelle à Expression, le centre d’art de Saint-Hyacinthe. Il ne s’agit pas d’une rétrospective — la grande majorité des œuvres datent de 2018 ou 2019 —, mais tous les axes de sa pratique sont réunis.
Cet artiste de Québec est trop peu exposé à Montréal. Sans raison. Le solo intitulé Conjonctures comble donc une sorte de vide depuis les expos (avec catalogues) au centre Vox et à la Galerie de l’UQAM en 2005.
Des photos trafiquées, un piano désarticulé et toute une réalité numérique — « une société numérique », dans les mots de l’artiste — composent Conjonctures. Pendant que la biennale montréalaise Momenta s’appuie sur une diversité de concepts de l’image, Jocelyn Robert fait un peu le chemin inverse : il traque les images qui font consensus. Pour mieux les détourner.
L’expo débute sur deux ensembles de visages composites, des portraits de chefs politiques d’une part (la série César) et des autoportraits dissimulés sous les traits de figures historiques d’autre part (la série Automoiré). Réalisées avec l’aide d’un moteur de recherche Web, ces superpositions d’images reposent sur le principe, défendu par Robert, voulant que le consensus soit délicieusement trompeur.
Entre dissonance et harmonie
Quelle image se fait-on de Donald Trump ? Est-il si semblable à Jules César ? Mais de quel César s’agit-il ? Et ainsi de suite, les questions de ce type abondent dans l’expo, y compris dans la tête de ceux qui connaissent, ou croient connaître Jocelyn Robert. Dans une autre série photo, associée à l’installation Mon père et moi, l’artiste a mixé son portrait à ceux de criminels trouvés en ligne. Le résultat, il va de soi, est dissonant et pourtant familier.
Cette Conjoncture navigue ainsi, entre dissonance et harmonie. À l’instar du son d’un clavier, audible de manière intermittente. Ou du piano, au cœur de la salle d’exposition et pièce centrale de l’installation Mon père et moi.
L’objet en bois a, en apparence, été mis hors d’usage : couché sur le dos, il repose comme une dépouille, ouvert, en morceaux. Plusieurs fils le relient à un ordinateur et à des haut-parleurs, si bien que des touches s’activent et qu’on les associe volontiers au son ambiant. Branché à une sorte de respirateur artificiel, le piano joue, donc, encore. Du moins, c’est cette image qui nous est donnée à voir.
Le piano est autant un objet qu’un motif récurrent chez Jocelyn Robert. S’il n’est pas le premier à traficoter l’instrument (Patrick Bernatchez et Jean-Pierre Gauthier, par exemple, s’y sont aussi attaqués), il en a fait un pilier de son œuvre. Il faut rappeler que l’homme est aussi artiste de la performance et compositeur, avec une trentaine d’albums à son CV. Par l’accumulation (d’images) ou par la fragmentation (de sons) — la « dégradation », selon le guide imprimé d’Expression —, Jocelyn Robert fait état de la perception que l’on se fait des choses.
La manière est parfois brutale, comme pour certains des assemblages photos documentant des sites patrimoniaux en Europe, parfois empreinte de poésie, à l’instar de la vidéo de 2016 Bélugas.
La transmission de signaux
À la fois issues d’un processus aléatoire (moteurs de recherche et autres logiciels) et d’un travail tout en finesse (la position du piano, les mains de l’artiste, bien en vue dans les compositions Automoiré), les œuvres de Jocelyn Robert parlent de la transmission de signaux. De la transformation de données. Des circonstances de la création, de la conjoncture de la vie.
L’exposition au centre Expression est dès lors un beau récapitulatif de ce travail amplement expérimental, certes parfois obscur, mais d’une grande intelligence.