Momenta, l’image hors de son cadre

Maeve Brennan, «The Drift», 2017, image tirée de la vidéo
Photo: Maeve Brennan Maeve Brennan, «The Drift», 2017, image tirée de la vidéo

Cela fait déjà 30 ansque le centre VOX a lancé le Mois de la photo. C’étaiten 1989 et la planète fêtait les 150 ans de l’invention du daguerréotype (même si Nicéphore Niépce réalisa une photo sur étain dès 1826…). Et en cette fin de XXe siècle, bien des artistes et des spécialistes du milieu de l’art croyaient encore en la nécessité de défendre la spécificité des pratiques artistiques, et de la photographie en particulier. La photo semblait alors à la fois concurrencée par de nouveaux moyens d’expression, dont la vidéo ou l’installation, mais aussi, et encore, comparée à la peinture… Comme le disait le catalogue de 1989, le Mois de la photo se voulait donc une célébration de cette forme d’art.

En trente ans, les choses ont changé, la pratique photographique s’est ouverte à bien des hybridités et, depuis 2017, le Mois de la photo est devenu Momenta, Biennale de l’image, événement ouvert à différentes pratiques artistiques que le mot image tente de regrouper.

De l’amour des objets et des êtres humains

Il y a deux ans, la 15e biennale fut décevante, mais la 16e édition promet, grâce à un sujet qui pourrait se révéler original et porteur de questions importantes. Le thème — La vie des choses — se veut de plus engagé. C’est ce que nous assure la commissaire et chercheuse colombienne María Wills Londoño, qui a organisé des expositions autant en Amérique latine qu’en Europe ou aux États-Unis. Cet événement se veut un questionnement sur les rapports symboliques, et même politiques, que nous entretenons avec les objets offerts par le consumérisme sans limites développé depuis des décennies. Quatre volets ou sous-thèmes permettront de décliner le thème central : Objets culturels et culture matérielle, Êtres chosifiés ou objets humanisés, L’absurde comme contre-récit de l’objet et Nature morte à l’ère de la crise environnementale.

Encore cette année, l’événement est réparti dans plusieurs lieux à Montréal et en périphérie. Sur les douze lieux participants, six sont des centres d’artistes, deux des galeries universitaires et quatre des musées — dont celui de Joliette. Que faudra-t-il surveiller en particulier dans ces lieux présentant 39 artistes provenant de 20 pays ?

Photo: Victoria Sin Victoria Sin, «Preface / Looking Without», de la série «Narrative Reflections on Looking», 2017, image tirée de la vidéo

Le coeur de Momenta se trouvera à la Galerie de l’UQAM et au Centre de l’image contemporaine VOX, dans une exposition collective double qui dialoguera avec les 4 sous-thèmes et 22 artistes. Les deux premiers sous-thèmes se retrouveront à l’UQAM, entre autres avec le diptyque vidéo Open Your Eyes de Kader Attia, oeuvre où ce sont les individus qui semblent perçus comme des marchandises consommables ou des objets réparables après avoir été abîmés. Une oeuvre troublante qui marqua la Documenta (13) de Cassel, en Allemagne, en 2012.

Les deux autres sous-thèmes auront leur place chez VOX, entre autres avec la vidéo The Garden of Earthly Delights de Juan Ortiz-Apuy, oeuvre qui souligne comment certains humains vivent une sorte de socialisation avec les objets.

 

Une dizaine d’autres lieux seront aussi de la fête : la galerie Leonard & Bina Ellen donnera à voir l’artiste brésilien Jonathas de Andrade, qui traite « d’une possible déchosification » du monde ; la galerie B-312 exposera les Canadiens Maggie Groat et Jamie Ross, qui « proposent des modes de consommation différents de celui associé au capitalisme » ; le centre Optica ouvrira ses portes à Batia Suter et à Miguel Angel Ríos.

Photo: Léo Harvey-Côté Raphaëlle de Groot, Subsistances – «Inniun», 2017 © Raphaëlle de Groot

Au Centre Clark, vous pourrez voir Making a Religion Out of One’s Loneliness de la Canadienne Hannah Doerksen qui fera de ce centre d’artistes un « sanctuaire de la solitude » afin de montrer comment des objets peuvent venir en aide aux individus. Chez Occurrence, dans Entre mer et terre, Raphaëlle de Groot nous amènera à réfléchir aux liens entre objets et identités à travers des images et des choses ramassées lors d’un voyage en Minganie.

Dazibao présentera Libertad avec Karen Paulina Biswell, Laura Huertas Millán et Ana Mendieta, qui s’interrogent sur la chosification du corps des femmes. Et il ne faudra pas oublier Simulacres d’Alinka Echeverría, au Musée des beaux-arts, oeuvre qui traitera de la représentation du fétichisme dans le regard posé par les colonisateurs sur les colonisés. Tout comme il faudra voir Children’s Games de Francis Alÿs au Musée d’art contemporain de Montréal, Marina Gadonneix au Musée d’art de Joliette, Celia Perrin Sidarous au Musée McCord, Izumi Miyazaki dans l’espace public du quartier Mile-End…

À surveiller aussi, côté galeries

Jocelyn Robert. Dans son exposition Conjonctures, cet artiste multidisciplinaire traitera, dans une première partie, de l’imaginaire que les réseaux numériques convoquent, mais aussi, dans une seconde partie, du concept d’« air de famille ». À Expression – Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe, jusqu’au 27 octobre.

Clément de Gaulejac. Gaulejac lance ici une nouvelle série intitulée Les maîtres du monde sont des gens. Pour parler du monde contemporain et du désir des riches qui veulent acheter des îles et des bateaux de luxe, il renouera avec des mythes et des récits anciens, comme celui du déluge et de l’arche salvatrice… Une exposition de la commissaire Marie-Hélène Leblanc à voir avant l’Apocalypse ou la montée des océans due au réchauffement climatique. Dans l’ordre que vous voulez. À la Galerie de l’UQO – Université du Québec en Outaouais, du 18 septembre au 19 octobre 2019.

Les nouveaux états d’être. Dans cette première partie du projet interdisciplinaire Alship, la commissaire Aseman Sabet va jumeler des artistes et des bioéthiciens afin de traiter de l’aspect émotionnel lié au développement de l’intelligence artificielle. Avec entre autres Gregory Chatonsky–Laurence Devillers, Mat Chivers–Cansu Canca, Julie Favreau–Effy Vayena… Au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, du 27 septembre au 14 décembre.

Pierre Dorion. Il n’est plus à présenter, mais rappelons tout de même que sa peinture in situ a été un des moments de grâce de la série d’expositions regroupées dans Period Rooms cet été. Cet automne, Dorion sera de retour avec de nouvelles toiles dans les trois salles de la galerie. À la galerie René Blouin du 19 octobre au 30 novembre.

Shuvinai Ashoona. La commissaire Nancy Campbell, assistée de Justine Kohleal, présentera Cartographier des univers, exposition qui permettra de voir des oeuvres sur papier créées par Shuvinai Ashoona durant les deux dernières décennies. À la galerie Leonard et Bina Ellen, du 31 octobre au 18 janvier.


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