Toujours volcanique, Catherine Bolduc

Luxuriant, exubérant, excessif. L’art de Catherine Bolduc est de ce type, un pied dans les constructions baroques, un autre dans des compositions marquées par la désinvolture du geste.
Renommée pour ses sculptures et ses installations à la teneur démesurée depuis vingt ans, l’artiste pratique aussi le dessin, qu’elle aborde dans le même esprit d’abondance. Souvent intégrées à des installations, ses oeuvres sur papier sont pourtant restées dans l’ombre de sa production.
L’exposition La vie parallèle, sa toute première à la galerie D’Este, a le mérite de faire toute la place à un ensemble de dessins. Ceux-ci n’ont pas à être pris comme compléments ou versants bidimensionnels d’une proposition sculpturale, mais bien comme des oeuvres à part entière.
Ce n’est peut-être pas la première fois que Catherine Bolduc met l’accent sur ses dessins dans une exposition — en 2017, le projet La femme dans la lune, présenté à Terre-Neuve, en était amplement garni. Reste qu’à Montréal, la chose a été rare jusqu’ici.
On pourrait croire, ou craindre, que l’artiste, à l’orée de la cinquantaine, ait accepté de s’en tenir à ce format d’oeuvres plus vendables, moins onéreuses aussi. Le palier de la mi-carrière est crucial, tant il place les créateurs dans une sorte d’oubli, entre les nouveaux visages et les vétérans acclamés. Peut-on leur reprocher d’adopter des manières plus mesurées ?

Catherine Bolduc n’a pas renié pour autant sa signature. Cette série de dessins à l’aquarelle et à l’acrylique respire la même extravagance que les installations, la même approche qui lui permet d’insuffler une bonne dose d’énergie et d’imagination à des objets génériques et plutôt neutres.
Le détournement et l’appropriation d’objets trouvés ou manufacturés font depuis longtemps partie de la pratique de Catherine Bolduc, une « ramasseuse », comme l’auteur et artiste Marc-Antoine K. Phaneuf l’a déjà qualifiée. Hier, fleurs artificielles, jeux de cartes ou miroirs. Aujourd’hui, photos sur le Web. Oniriques et fantastiques, ses récits visent à corrompre les conventions, le réel.
La douzaine d’impressions au jet d’encre retouchées à la main donne à voir soit des espaces intérieurs, soit des individus à l’état passif — « postures de fatigue, d’ennui ou d’absence mentale », selon les termes de l’artiste. Les espaces retenus sont des lieux aux décors chargés, espaces de luxe (salle de réception, restaurant) que l’on suppose conçus pour des rencontres, ne serait-ce que par le motif récurrent de la table.
Les touches de couleurs, surtout des rouges et des jaunes, éclaboussent l’ordre coquet des images et dégoulinent à la manière des paysages volcaniques créés il y a une décennie par Catherine Bolduc. La magie et le fantasme, comme l’écrivait Anne-Marie St-Jean Aubre dans l’exhaustive monographie de l’artiste (Mes châteaux d’air et autres fabulations, 1996-2012), servent encore à Bolduc pour travestir la réalité.
L’expo La vie parallèle, comme le titre le stipule, repose sur une série de contrastes entre ce qui a été déniché sur Internet (notre réalité, aujourd’hui) et l’intervention de l’artiste. La beauté des uns et d’une certaine norme versus sa beauté à elle.
Catherine Bolduc oppose à l’apparence rigide de ces aménagements intérieurs sa force intérieure à elle, qui s’exprime par une série d’explosions — comme celles des volcans. Elle vient quelque part clamer que la subjectivité a droit de cité en dehors du Web, cet espace censé être le lieu pour épancher tous les ego du monde.
Peut-être le marché de l’art est-il en train de la récupérer, de lui dicter sous quel format s’exprimer. On peut cependant supposer, ou souhaiter qu’elle saura alors s’en détacher et griffonner un autre coulis de fantaisies. Sa vie parallèle ne devrait pas s’arrêter à cette exposition.