Héritages culturels à la Fonderie Darling

Vue de l’exposition Night School de David Armstrong Six. 
Photo: Adrian Morillo Vue de l’exposition Night School de David Armstrong Six. 

Comme l’indiquait la directrice de la Fonderie Darling, Caroline Andrieux, lors de la visite de presse, notre époque est à l’hétérogénéité. Et les deux expositions présentées ces jours-ci dans son centre incarnent bien ce que certains décrivent ainsi, depuis quelques décennies, comme étant la postmodernité. Déjà, dans les années 1980, le critique d’art René Payant expliquait comment l’installation — qui, selon lui, serait le nom postmoderne de l’œuvre d’art — obligeait le spectateur à faire intellectuellement le saut entre les éléments éclectiques qui la constituent afin de construire du sens. C’était l’époque où l’essayiste Guy Scarpetta parlait d’impureté…

Dans la grande salle de la Fonderie Darling, l’exposition de David Armstrong Six, commissariée par Andrieux, est une installation qui traite de cet état actuel de l’art et du monde. Cette expo est formée de trois ensembles hétéroclites de sculptures : des formes plus organiques qui semblent copier la nature sont posées sur le sol, des structures plus anthropomorphiques s’élèvent fragilement dans l’espace et des demi-cylindres qui évoquent des tuyaux fabriqués industriellement créent de fortes lignes horizontales… Et à cela s’ajoutent quelques dessins placés en hauteur…

Photo: Simon Belleau Vue de l’exposition «Vapeurs» de Guillaume Adjutor Provost

Ces sculptures exposées semblent produites par différents moyens allant de la taille au moulage, en passant par l’empreinte et l’assemblage. Ces formes de sculptures se donnent parfois des allures organiques, animales ou végétales, parfois des apparences minérales. Il s’agit presque d’une histoire de la sculpture qui « aboutit » à ces demi-cylindres qui font penser au Sun Tunnels (1973-1976) que la land-artiste Nancy Holt créa dans le désert du Grand Bassin en Utah.

Cette œuvre nous parle du poids de l’histoire de la sculpture, de l’art, mais aussi des civilisations qui pèsent sur l’artiste et le citoyen contemporains. L’artiste sembre écartelé entre ces différents pans, tentant d’apprendre, de retenir le maximum de ce passé. Cette expo intitulée Night School fait certainement référence à l’enseignement que l’art offre aux nouvelles générations plongées dans l’ombre du passé… Mais ces œuvres qui insistent beaucoup sur la notion d’empreintes — certaines empreintes sont littéralement celles de semelles de chaussures — évoquent aussi la notion d’empreinte écologique que l’humanité laisse sur la planète. Une histoire en effet parfois lourde à porter.

Poupées russes

 

Dans la petite salle de la Fonderie, l’installation de Guillaume Adjutor Provost, commissariée par Ji-Yoon Han, traite elle aussi de la transmission de l’histoire. Le centre de son expo s’organise autour de « tableaux » regroupés sous le titre suivant : Nous ne sommes déjà plus les mêmes.

Ces images, composées d’encre, d’acrylique et de gravure sur aluminium, donnent à voir des taches d’encre semblables à celles élaborées par le psychanalyste Thomas Rorschach en 1921 pour son test devenu célèbre. Dans ces taches non figuratives, le patient devait projeter du sens… Adjutor Provost n’a pas utilisé la dizaine de planches originales que Rorschach avait élaborées, mais a plutôt colligé les taches que ses successeurs ont bâties dans l’esprit du maître. Dans une forme de mise en abîme, il nous montre comment des idées suscitent l’imaginaire, l’interprétation et l’appropriation dans une sorte de projection proche de la mécanique du test de Rorschach.

Pour filer encore plus cette idée de l’interprétation et l’appropriation comme moteur de la pensée humaine, Adjutor Provost a invité dans son expo deux autres artistes à venir dialoguer avec son travail. Julie Tremble y présente une vidéo qui elle-même joue sur le dialogue et l’appropriation. Intitulée Marcel Broodthaers en conversation avec Hideaki Anno et Akhenaton, cette animation met en scène un poème de l’artiste belge réitéré en s’inspirant du célèbre réalisateur de dessins animés et d’un pharaon… Et puis, cette œuvre donnera lieu à des performances de Guillaume B.B. durant les mois d’avril et de mai à partir d’une plateforme déjà intégrée dans l’expo.

En fait, cette œuvre nous dit comment il n’y a d’histoire que dans la réécriture.

Night School

De David Armstrong Six. Commissaire : Caroline Andrieux.

Vapeurs

De Guillaume Adjutor Provost. Avec la participation de Julie Tremble et Guillaume B.B. Commissaire : Ji-Yoon Han. À la Fonderie Darling, jusqu’au 12 mai.

À voir en vidéo