Descente aux enfers avec Vincent Larouche

L’exiguë galerie soon.tw fait intégralement place à une installation de Vincent Larouche, aux airs guillerets vite chassés. À partir d’une banque d’images dont pullule Internet, l’artiste campe une galerie de personnages au désespoir, malgré le caractère léger et bédéesque qui les habille. Le drame en cause demeure allusif mais pointe l’époque actuelle, qui, livrée au néolibéralisme, fait de tout l’objet d’un sauvage marché. Larouche retravaille une imagerie prête à l’emploi, et a priori vide de sens, qu’il recharge de l’héritage de la peinture ancienne et de ses mythologies.
À la faveur d’un temps de montage supplémentaire accordé en galerie, le jeune artiste a entrepris de couvrir tout l’espace d’exposition, y prolongeant l’univers de ses quelques tableaux accrochés au mur. Aplats colorés et blancheur nette présentent des surfaces lisses sur le fond desquelles se détachent les personnages, une finition commerciale dont Larouche met en doute la superficialité. Un désarroi tragique teinte toutes les actions montrées, de celui qui se trouve les poches vides ou, pire, de ceux qui pensent à la mort, par pendaison ou avec un fusil sur la tempe.
La violence sourde est celle du quotidien avec le manège de ses routines. Dans Bestiaires 2 (2018), l’une des rares toiles, l’hygiène corporelle de tous les jours enserre une funeste vision qui se nourrit des associations laissées ouvertes avec les autres éléments de l’installation. Entrepreneur, un personnage mué par une marche (trop) enjouée fait partie de la ronde esquissée dans l’espace, d’un mur à l’autre, que notre regard poursuit. En tête, un bandit de la finance se sauve avec la manne.
Antihéros
L’environnement créé ici par l’artiste est plus aseptisé, en un sens, que dans ses installations antérieures, à en juger par la documentation des expositions qu’il a présentées dans des espaces alternatifs de la trempe de soon.tw, comme Calaboose et Bunker 2 (en cours à Toronto). Bris et débris faisaient littéralement partie de la donne. Rien ne vient joncher le sol dans l’actuelle installation, pour laquelle le désastre dans le champ de la représentation est maintenu. Prise dans son ensemble, cette peinture murale retient un peu des fresques anciennes qui dépeignaient des scènes mythologiques chargées, racontant les hauts faits de dirigeants ou des fables édifiantes.
Un tableautin offre le visage cadré serré d’une madone, tel un indice des références où puise entre autres l’artiste. Sa production, loin d’en rester à la nature graphique des illustrations à la source, témoigne d’un attachement plus large pour la peinture, son histoire et son faire. Larouche crée des compositions qui agencent avec force les différents éléments, ce qui rend l’installation si captivante en lui octroyant une profondeur insoupçonnée.
Des mouvements giratoires s’activent ici et là, dans les pastilles blanches répétées d’un tableau et dans la répartition des figures dans l’espace. Avec eux, un vortex prend forme, vertigineux. Ces motifs et leur configuration pourraient rappeler les scènes agitées qui peuplaient certaines peintures maniéristes du XVIe siècle, nées dans un climat d’incertitude. D’autres motifs se répètent et se font écho, comme celui en double de la vitre cassée, une forme en miroir qui, sordide, suggère une fuite par défenestration. La trouée du verre se combine à d’autres composantes plastiques, parfois très subtiles, créant des tensions entre l’illusoire profondeur et la planéité de la surface ; la fenêtre n’a eu de cesse, d’ailleurs, de se décliner dans l’histoire de la peinture.
Un Geppetto résigné, une femme dans la mire du regard lubrique d’un homme et un insecte menaçant sont également présents dans cette galerie de personnages qui n’ont rien d’héroïques, aux prises avec un mal aussi sournois qu’indicible. C’est une descente aux enfers, résume le diptyque intitulé Catabase, mais qui n’a pas le caractère d’un voyage initiatique, puisqu’une signalétique routière « one way » peinte au mur, nous indique qu’il est interdit de faire marche arrière.