Travail, travail, travail

Plus on a l’impression qu’on manque de temps, plus on manque de temps. Une étude de l’Institut de la statistique du Québec dévoilée en 2018 révélait en effet que les gens qui courent après leur temps réduisent leurs heures consacrées aux loisirs et au repos. Le travail, professionnel ou domestique, passe encore avant tout.
Le temps, si précieux dans nos vies hyperconnectées et hyperproductives, est au cœur de l’exposition L’attente à la Galerie de l’UQAM. Le temps à la job, plus précisément, tel que l’observent, le commentent ou même le pratiquent les artistes sélectionnés par le commissaire invité Fabrizio Gallanti.
Emmanuelle Léonard et le duo Jean-Maxime Dufresne et Virginie Laganière — couple dans la vie et au travail, notez-le —, proposent des œuvres inédites, fortes, sensibles. Mais il n’y a pas que du neuf. Le survol thématique cite un film de 1975, Fantozzi (du nom d’un illustre personnage comique italien), et inclut la pochette-formulaire pour chômeurs de Signing Off (1980), premier disque du groupe britannique UB40, né à l’ère Thatcher.
Qu’est-ce qu’on fait au bureau et à l’usine ? On attend. On attend que la machine finisse son œuvre. On attend aussi la pause, ou la fin de la journée, à l’instar des fonctionnaires dans Fantozzi qui se bousculent vers la sortie lorsque le 9 à 5 prend fin.
Photo: The Modern Institute, Toby Webters Ltd, Glasgow
Jeremy Deller, «Hello, today you have day off» (formulation d’un texto envoyé à un travailleur sous contrat zéro heure l'informant que son travail ne serait pas requis ce jour-là), 2013.
Encore faut-il avoir un horaire. Suspendue au plafond, une bannière de Jeremy Deller rappelle la dure réalité de ces travailleurs dont le contrat « zéro heure » ne leur garantit aucun revenu. Le texto cité par Deller, « Bonjour, aujourd’hui vous avez congé [day off] », est un procédé courant pour annoncer à un employé que sa présence n’est pas requise.
L’attente, dans ce cas, est un cruel moment, qui se manifeste au quotidien et de manière expéditive, sans contact réel. Le patron n’a même plus de visage.
C’est d’une résidence de création au pays du karoshi que le duo Dufresne-Laganière a tiré le projet Intervalles. Hétéroclite et potentiellement déroutante, l’installation comprenant photos, vidéos et mobilier exclut la figure humaine, sauf quelque cas, sous des lunettes de réalité virtuelle ou sous forme d’androïde.
Ici, le temps permet de s’échapper du quotidien et de son rythme en accéléré. Le thème du refuge a orienté le duo montréalais. Et son motif principal, c’est un hibou, emblème d’attente, de passivité et d’observation. L’oiseau est cependant aussi un appât dans les cafés de Tokyo, tant il est devenu une mode, un décor, enchaîné et privé de son habitat.
Si la figure du travailleur est absente dans Intervalles, elle est omniprésente dans Le travail en une seule prise, d’Antje Ehmann et Harun Farocki, autre couple actif comme collectif. En cours de réalisation depuis 2011 — le travail n’a pas de fin —, le projet réunit une multitude de courtes vidéos (plans-séquences de deux minutes, max), tournées partout dans le monde.
Hommage et plainte en même temps, Le travail en une seule prise offre un panorama de la débrouillardise et du cheap labour. On y voit des gens au travail, actifs ou en pause, de la conseillère en propos érotiques au vendeur de glaces.
Le projet d’Ehmann et Farocki est noble, tant leur parcours se transforme en ateliers de création. Ce sont leurs « élèves », quelque peu exploités, dirait-on, qui tournent les images. L’installation en neuf écrans (un par ville) se présente comme un chœur à la fois cohérent et chaotique.
Présent avec une photo et deux corpus de dessins, Alain Parent est un cas à part, comme artiste-travailleur, détenteur de deux identités parallèles. Cet urgentologue de l’Hôtel-Dieu de Québec, actif aussi au Nunavik et dans un camp de réfugiés, a traduit ses déplacements, ses moments d’attente et ses interventions en œuvres conceptuelles.
Avec Parent, le temps à l’ouvrage devient œuvre. Quelque part, sa double production fait de lui le parfait rejeton de la rentabilité capitaliste. Mais il fait figure de privilégié. Pas sûr que le livreur de Pepsi ou le signataire d’un contrat « zéro heure » puisse maximiser ainsi son temps.
Travailleuses sociales pour l’organisme RAP Jeunesse, Joëlle et Sarah sont des modèles d’un tout autre ordre. Elles ont été suivies par Emmanuelle Léonard, dont la pratique flirte habilement avec le documentaire depuis plusieurs années.
Dans Le camion et la grâce, les nuits de Joëlle et de Sarah sont faites de longs moments d’attente, si on résume leur boulot à la distribution de préservatifs et d’autres objets destinés à des populations marginalisées. Il ne se passe rien et pourtant, il y a beaucoup de non-dits dans ce récit en ellipses. Sans ces temps à attendre le « client », le service, le travail perdraient sans doute de leur richesse, de leur efficacité.
Le temps, si précieux dans nos vies hyperconnectées et hyperproductives, est au cœur de l’exposition L’attente à la Galerie de l’UQAM. Le temps à la job, plus précisément, tel que l’observent, le commentent ou même le pratiquent les artistes sélectionnés par le commissaire invité Fabrizio Gallanti.
Emmanuelle Léonard et le duo Jean-Maxime Dufresne et Virginie Laganière — couple dans la vie et au travail, notez-le —, proposent des œuvres inédites, fortes, sensibles. Mais il n’y a pas que du neuf. Le survol thématique cite un film de 1975, Fantozzi (du nom d’un illustre personnage comique italien), et inclut la pochette-formulaire pour chômeurs de Signing Off (1980), premier disque du groupe britannique UB40, né à l’ère Thatcher.
Qu’est-ce qu’on fait au bureau et à l’usine ? On attend. On attend que la machine finisse son œuvre. On attend aussi la pause, ou la fin de la journée, à l’instar des fonctionnaires dans Fantozzi qui se bousculent vers la sortie lorsque le 9 à 5 prend fin.

Encore faut-il avoir un horaire. Suspendue au plafond, une bannière de Jeremy Deller rappelle la dure réalité de ces travailleurs dont le contrat « zéro heure » ne leur garantit aucun revenu. Le texto cité par Deller, « Bonjour, aujourd’hui vous avez congé [day off] », est un procédé courant pour annoncer à un employé que sa présence n’est pas requise.
L’attente, dans ce cas, est un cruel moment, qui se manifeste au quotidien et de manière expéditive, sans contact réel. Le patron n’a même plus de visage.
Survol mondial
Le système capitaliste est souvent considéré comme aliénant, sans pitié pour les travailleurs. Au Japon, le surmenage de la population, si dévouée, a provoqué le karoshi, phénomène de la mort par épuisement.C’est d’une résidence de création au pays du karoshi que le duo Dufresne-Laganière a tiré le projet Intervalles. Hétéroclite et potentiellement déroutante, l’installation comprenant photos, vidéos et mobilier exclut la figure humaine, sauf quelque cas, sous des lunettes de réalité virtuelle ou sous forme d’androïde.
Ici, le temps permet de s’échapper du quotidien et de son rythme en accéléré. Le thème du refuge a orienté le duo montréalais. Et son motif principal, c’est un hibou, emblème d’attente, de passivité et d’observation. L’oiseau est cependant aussi un appât dans les cafés de Tokyo, tant il est devenu une mode, un décor, enchaîné et privé de son habitat.
Si la figure du travailleur est absente dans Intervalles, elle est omniprésente dans Le travail en une seule prise, d’Antje Ehmann et Harun Farocki, autre couple actif comme collectif. En cours de réalisation depuis 2011 — le travail n’a pas de fin —, le projet réunit une multitude de courtes vidéos (plans-séquences de deux minutes, max), tournées partout dans le monde.
Hommage et plainte en même temps, Le travail en une seule prise offre un panorama de la débrouillardise et du cheap labour. On y voit des gens au travail, actifs ou en pause, de la conseillère en propos érotiques au vendeur de glaces.
Le projet d’Ehmann et Farocki est noble, tant leur parcours se transforme en ateliers de création. Ce sont leurs « élèves », quelque peu exploités, dirait-on, qui tournent les images. L’installation en neuf écrans (un par ville) se présente comme un chœur à la fois cohérent et chaotique.
Présent avec une photo et deux corpus de dessins, Alain Parent est un cas à part, comme artiste-travailleur, détenteur de deux identités parallèles. Cet urgentologue de l’Hôtel-Dieu de Québec, actif aussi au Nunavik et dans un camp de réfugiés, a traduit ses déplacements, ses moments d’attente et ses interventions en œuvres conceptuelles.
Avec Parent, le temps à l’ouvrage devient œuvre. Quelque part, sa double production fait de lui le parfait rejeton de la rentabilité capitaliste. Mais il fait figure de privilégié. Pas sûr que le livreur de Pepsi ou le signataire d’un contrat « zéro heure » puisse maximiser ainsi son temps.
Travailleuses sociales pour l’organisme RAP Jeunesse, Joëlle et Sarah sont des modèles d’un tout autre ordre. Elles ont été suivies par Emmanuelle Léonard, dont la pratique flirte habilement avec le documentaire depuis plusieurs années.
Dans Le camion et la grâce, les nuits de Joëlle et de Sarah sont faites de longs moments d’attente, si on résume leur boulot à la distribution de préservatifs et d’autres objets destinés à des populations marginalisées. Il ne se passe rien et pourtant, il y a beaucoup de non-dits dans ce récit en ellipses. Sans ces temps à attendre le « client », le service, le travail perdraient sans doute de leur richesse, de leur efficacité.