Françoise Sullivan: «la peinture fait ce qu’elle veut»

Françoise Sullivan, «Rouge nos 3, 5, 6, 2» (1997)
Photo: Richard-Max Tremblay Françoise Sullivan, «Rouge nos 3, 5, 6, 2» (1997)

Il y a des rétrospectives nécessaires, et celle que présente le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) avec Françoise Sullivan en fait partie. Cosignataire du manifeste Refus global (1948), elle a, depuis les automatistes, fait partie des avant-gardes artistiques de la scène québécoise, se produisant en danse, en sculpture, en art conceptuel et en peinture. C’est cette pluridisciplinarité, initialement fondée sur la danse, qui a déjà été soulignée et qui fait la force distinctive du travail de Sullivan.

Alors que d’autres ont par le passé choisi d’aborder cette œuvre protéiforme par des trajectoires faisant fi des disciplines et du parcours biographique (Galerie de l’UQAM, 2017), le commissaire Mark Lanctôt, au MAC, emprunte une approche chronologique plus classique dans un effort de synthèse que reflète d’ailleurs le précieux catalogue d’exposition (Feed), avec sa chronologie exhaustive survolant 95 ans de vie et plus de 70 ans de carrière.

C’est en effet une artiste toujours active que présente le MAC en incluant des œuvres toutes récentes, la poursuite des abstractions en peinture que l’artiste pratique assidûment, voire exclusivement depuis la fin des années 1990. De salle en salle, la démonstration se fait claire en épousant les périodes, dont la première s’incarne également en peinture, figurative toutefois. La peinture encadre donc l’ensemble de la production de Sullivan dans un parcours touffu qui aurait mérité plus d’espace, en particulier à la fin où les toiles abstraites, certaines à la puissance indéniable, se nuisent mutuellement.

De gestes en traces

 

Quand elle délaisse la peinture au milieu des années 1940 — des portraits de style fauviste dont les quelques exemples regroupés sont fort éloquents —, c’est pour adopter la danse, qui l’amènera, entre autres, à New York, où elle fera des rencontres décisives en plus de contribuer à la diffusion des automatistes. Documentation photo, partitions et costumes relatent dans l’exposition cette période où elle bouscule les conventions en danse, faisant place aux gestes improvisés, comme dans la Danse dans la neige (1948), performance mythique captée par les images de Maurice Perron.

Les sculptures et les œuvres plus conceptuelles qui suivent font place à des changements marqués que le commissaire rassemble dans son texte sous l’enseigne de la trace et du mouvement. Gênante plus loin, l’exiguïté de l’espace participe ici à l’efficacité de la mise en scène, en proposant une « forêt » dense de sculptures abstraites des années 1960, constituées de formes en tension et de spirales, dans le noir profond de l’acier brut ou dans les couleurs toniques de matières plastiques.

Photo: Richard Max Tremblay Sullivan, «Spirale», 1969 © Françoise Sullivan/ SODRAC (2018)

Une autre section concentre les productions à dimensions conceptuelles dans lesquelles le passé de la chorégraphe se fait sentir, alors qu’elle marque l’espace et le temps par ses gestes et ses déplacements. Une performance filmée la montre obstruant des fenêtres avec des pierres empilées, lors d’un séjour en Irlande, opération restituée également sous forme de sculpture. Les trouées (dé)couvertes et l’accent sur le processus se retrouvent aussi plus tard dans des tondos abstraits proches du postminimalisme.

La plus emblématique de ses contributions à la tendance conceptuelle demeure sans doute ses déambulations urbaines exemplifiées au MAC avec Promenade entre le Musée d’art contemporain et le Musée des beaux-arts de Montréal (1970). Le titre instruit sur le programme édicté par l’artiste qui, en photos, rapporte son parcours aller-retour entre les deux musées, des « marqueurs de légitimation », pour reprendre les mots de Vincent Bonin dans le catalogue. Son texte éclaire d’autres aspects de ce pan de la production de Sullivan, plus riche encore que le laisse présager l’exposition.

Retour à la peinture

Quand elle renoue ensuite avec la peinture, elle passe brièvement par la figuration, parenthèse que tendent à éclipser les œuvres abstraites parfois imposantes. Le quadriptyque Rouge nos 3, 5, 6, 2 (1997) en est l’exemple séduisant par ses vibrations chromatiques et la qualité de ses textures. Dans ces peintures semble se jouer un franc corps à corps. En prélude à l’exposition, dans le documentaire Si Sullivan m’était contée (Lauraine André G., 2007), l’artiste a d’ailleurs ces mots qui résonnent fort à propos : « La peinture fait ce qu’elle veut… et c’est un dialogue entre nous. »

Pour montrer l’actualité de l’œuvre de Sullivan, le MAC, en plus de ses œuvres récentes, a mis sur pied un programme de performances faisant appel à des artistes comme Catherine Lavoie-Marcus et Maryse Larivière. Le parcours interrompu — trahissant peut-être le grand chantier déjà en marche qui prive le MAC d’une partie de ses salles — réserve par ailleurs dans une section en périphérie les documentations filmées de l’interprétation de ses chorégraphies. À proximité, la reprise par l’artiste Luis Jacob de la chorégraphie Danse dans la neige suggère à sa façon l’étendue possible de l’héritage de Françoise Sullivan.

Françoise Sullivan

Au Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 20 janvier

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