La peinture narrative de Cindy Phenix

C’est avec une peinture marquée parde profonds tiraillements que Cindy Phenix ouvre son premier solo à la Galerie Hugues Charbonneau, qui la représente désormais. Cette approche n’a rien de négatif et constitue plutôt un des points forts de sa pratique picturale. La jeune diplômée de l’Université Concordia propose des images à la frontière de la figuration et de l’abstraction où se jouent diverses tensions formelles et sémantiques. Ces images contrarient différents réflexes et mettent à l’épreuve le besoin de catégoriser.
Les tableaux empruntent une palette hardie, fournie en contrastes, qui ravit d’abord l’attention. Puis, l’appel des textures se fait ressentir avec des empâtements audacieux, des aplats profonds et lumineux qui tranchent avec certaines zones où les couleurs s’éteignent en sourdine, sous un voile délicat. Profuse et complexe, cette matérialité complique l’identification du sujet, qui se révèle peu à peu. L’expérience proposée accentue le désir de voir, une volonté que plusieurs théories rattachent au pouvoir et que les féministes ont en particulier reliée au regard masculin.

La figuration, bel et bien présente dans les toiles, ne se livre donc pas d’emblée. Ce sont des figures humaines, féminines surtout, qui prennent forme, agglutinées parfois entre elles, et qui se détachent difficilement du fond, avec lequel elles tendent à faire corps. Balcony View on Negociations, Acceptance of What Surrounds You… les titres ancrent les scènes dans des lieux qui sont le théâtre de regards et qui se trouvent à la jonction des espaces publics et privés ; balcons, hall et vestiaire sont entre autres suggérés dans ces œuvres qui reposent sur une scénographie des corps, mais qui déconcertent leur emprise visuelle.
Collages
Tout un processus prélude à l’exécution de ces tableaux. L’artiste emprunte l’huile et le pastel ; elle dessine, contourne, use de caches et accumule aussi la pâte picturale en relief accidenté. Des pans laissés vierges du support, une toile de coton blanc ou de lin brun, témoignent d’un travail de l’image réfléchie autant à l’égard des couches superposées que des plans juxtaposés ; les espaces illusoires suggérés par la peinture faillissent cependant devant la présence concrète des matières faisant de l’image un lieu de rencontre physique et hautement sensoriel.

L’artiste puise ses modèles dans une imagerie existante, des images trouvées qu’elle transforme par des collages et par des manipulations numériques. La composition est ensuite projetée sur la toile et le contour de formes tracées. Ces silhouettes sont d’ailleurs en partie toujours perceptibles dans les œuvres. La genèse de ces peintures se trouve également dans les groupes de discussion organisés par l’artiste, qui les voit comme le ferment essentiel de sa création.
Deux rencontres ont en particulier nourri le corpus présenté. Elles ont eu lieu dans la galerie qui a servi pour l’artiste, cet été, de résidence de création. Lorsque je suis passée, à quelques jours de l’ouverture officielle de l’exposition, tubes de peinture, pinceaux en formats variés et pastels encombraient d’ailleurs toujours le plancher. Il était encore possible de voir les vestiges de ces rencontres où des sculptures ont servi de prétexte pour amorcer des discussions entre femmes d’horizons variés, à l’écart des pressions et dans un climat de confiance. Anecdotes et confidences ont inspiré l’artiste pour ses sujets, voulant raconter en images des expériences signifiantes pour ces participantes.