La liberté guidant les arts

Cette année marquera malheureusement l’ultime exposition à la Maison rouge, située sur le boulevard de la Bastille. Cette fondation ouverte par le mécène, galeriste et collectionneur Antoine de Galbert en 2004 en est à sa dernière aventure. Dans cette ancienne usine, bien des expositions incontournables furent montées, dont celles en 2011 sur les arts à Winnipeg, avec entre autres des œuvres de Marcel Dzama, Shary Boyle, Kent Monkman et Diana Thorneycroft.
De la centaine d’expos élaborées à la Maison rouge, on se souviendra aussi de Sous influences, portant sur les rapports entre art et psychotropes, des présentations des œuvres de Céleste Boursier-Mougenot en 2010, d’Henry Darger en 2006, de Berlinde de Bruyckere en 2005… La fermeture de ce lieu, qui attirait 100 000 visiteurs par an, sera une perte importante pour la scène de l’art contemporain en France.

La Maison rouge clôt ses activités par un grand déploiement, une présentation intitulée L’envol ou le rêve de voler. Une expo impressionnante composée de 200 œuvres choisies par quatre commissaires, Antoine de Galbert, Barbara Safarova, Aline Vidal et Bruno Decharme. Elle regroupe des pièces d’art moderne et contemporain, d’art brut, d’art conventionnellement classé dans les musées d’ethnographie et de culture populaire.
Le visiteur y reconnaît des œuvres mythiques comme un dessin de Georges Méliès pour son film Le voyage dans la lune de 1902, Le journal d’un seul jour montrant la célèbre photo Saut dans le vide d’Yves Klein de 1960, ou un extrait vidéo de la chorégraphie Pelican de Robert Rauschenberg en 1963. Mais on y retrouve aussi des œuvres d’artistes vivants ou morts moins célébrés, comme celles de Melvin Edward Nelson, de Roman Signer, d’Agnès Geoffray, de Lucien Pelen. Il serait judicieux d’y voir un parallèle entre le fantasme de voler et la création artistique. Ces deux mondes se rencontrent dans le désir de se libérer du poids du monde afin d’atteindre un point de vue différent sur celui-ci.
Jeu de Paume et engagement
Bien avant le restaurant branché Pharmacy de Damien Hirst à Londres, il y eut FOOD, la popote collective de Gordon Matta-Clark, intervention dans l’espace urbain de Soho à New York, œuvre d’art relationnel avant la lettre. Le Jeu de Paume présente une expo montée par le Bronx Museum de cet artiste mort trop tôt, à 35 ans en 1978, une expo bien documentée qui laisse cependant de côté plusieurs importants projets de l’artiste. Cette petite rétrospective permet d’avoir une vue d’ensemble de celui qui en 1973 fonda, avec entre autres Laurie Anderson et Tina Girouard, le groupe Anarchitecture. Les réunions de ses membres permettaient de discuter des manières de subvertir l’architecture conventionnelle, et en particulier moderne.

Toujours au Jeu de Paume, le travail de Bouchra Khalili, artiste malheureusement peu présentée en Amérique, permet de jeter un regard différent sur les migrants. En particulier, l’installation vidéo The Mapping Journey Project montre avec justesse les parcours complexes et déchirants de ceux qui franchissent illégalement les frontières, en ramenant les récits généraux et flous dont on entend parler dans les médias à des histoires singulières, celles vécues durement par ceux qui ont le courage de tenter leur bonheur ailleurs.
Delacroix, au-delà du monument
Pour conclure, on s’en voudrait de ne pas signaler la rétrospective Delacroix au Louvre, même si elle se conclut très bientôt. Cette expo qui sera présentée au Metropolitan Museum de New York à partir du 17 septembre est à marquer d’une pierre blanche. Cela fait 55 ans que ce peintre, véritable fondateur de l’art moderne, n’avait pas bénéficié d’une telle attention. Les commissaires — Sébastien Allard et Côme Fabre — ont décidé de ramasser dans la première salle les œuvres qui ont fait connaître l’artiste — dont Dante et Virgile aux enfers de 1822 et Scènes des massacres de Scio de 1824 — afin de permettre une réévaluation du reste de la production de ce créateur, de son œuvre qui fonctionne souvent par fragmentation ainsi que par éclatement des genres de l’art classique.

Une expo qui fourmille de documents passionnants, telle cette lettre de Delacroix à George Sand, lettre écrite en pleine révolution de 1848 et qui jette un autre éclairage sur l’engagement politique de celui qui peignit La liberté guidant le peuple : « […] cette liberté achetée à coups de batailles n’est vraiment pas de la liberté, laquelle consiste à aller et venir en paix, à réfléchir, à dîner surtout à ses heures et beaucoup d’autres avantages que les agitations politiques ne respectent pas. Pardonnez-moi mes réflexions rétrogrades, chère amie, et aimez-moi malgré mon incorrigibilité misanthropique ».