Julie Ouellet et Ianick Raymond: calquer le réel

Ianick Raymond, «100 planches» (détail), 2018.
Photo: Ville de Montréal Ianick Raymond, «100 planches» (détail), 2018.

Représenter, reproduire et même mimer un lieu sur le principe de la répétition d’un geste, d’un motif, voilà un point commun aux deux expositions estivales de la Maison de la culture Frontenac. Julie Ouellet et Ianick Raymond ne suivent pourtant pas le même processus. Réunir sous le même toit ces deux artistes en fin de maîtrise aura cependant été une jolie idée.

Les deux transforment la salle qui leur est réservée et font vaguement dans le genre paysage. De la première, l’expo Se contraindre à se perdre s’appuie sur une double forêt, celle du sujet traité et celle du matériau utilisé — d’immenses pellicules transparentes. Du second, le projet Peindre à nouveau, basé sur un rigoureux alignement de ce qui semble être des panneaux de bois, dessine un horizon tout en mouvement.

Julie Ouellet n’est pas peintre, mais dessinatrice. Pour Calquer une forêt une journée toutes les saisons, titre de la principale œuvre exposée, elle a procédé à coups de feutre. « Calquer », c’est littéralement ce qu’elle a fait, ainsi que le révèle la vidéo à découvrir dans le fond de la salle.

L’œuvre a été réalisée dans une vieille grange éventrée, ouverte sur un boisé. La bâche translucide qui sert de page blanche a été posée devant ce paysage naturel et Julie Ouellet a alors tenté d’imprimer avec son feutre ce que la lumière lui permettait de voir.

Photo: Ville de Montréal Julie Ouellet, «Calquer une forêt – processus», été 2016.

En salle d’exposition, la superposition des quatre bâches (une par saison) multiplie les effets de lisibilité et de non-lisibilité. Le sujet et sa silhouette formée de nombreuses lignes verticales demeurent cependant reconnaissables.

Un deuxième corpus d’œuvres sur papier, moins spectaculaire et de petit format, insiste cependant sur le protocole de répétition et d’obsession à reproduire l’impossible. Ouellet procède comme jadis le peintre avec son chevalet, à la différence qu’elle laisse le temps, la fatigue, voire la lassitude, s’imprégner sur la surface.

Espace pictural

 

Avec son nombre important de tableaux verticaux posés au sol, l’installation 100 planches de Ianick Raymond est une œuvre qui s’expérimente de multiples façons. De loin pour apprécier le mouvement progressif de l’ensemble. De côté pour noter que cet alignement au mur suit une légère ondulation. De près pour constater la délicate dégradation des tonalités entre les tableaux.

Ianick Raymond est peintre, actif depuis dix ans, mais l’exposition Peindre à nouveau est sans doute sa plus sculpturale, ou du moins celle qui l’éloigne le plus de la peinture et de ses conventions. Il n’y a ainsi, en apparence, aucun cadre cloué au mur.

Ce sont des objets qui composent 100 planches et, au premier regard, il s’agit d’une œuvre qui occupe l’espace et le transforme. Mais ces « tableaux-planches », comme les nomme l’artiste, sont des peintures à l’acrylique, véritables trompe-l’œil qui simulent les lattes d’un plancher en bois franc, ses dimensions, ses teintes, ses motifs.

Non figurative, la peinture de Raymond repose néanmoins sur une répétition de lignes susceptible d’évoquer un univers précis. Elle confronte réalité matérielle et potentiel illusoire, abstraction et représentation et, surtout cette fois, surface et volume.

Œuvre in situ, 100 planches non seulement reproduit des lattes du sol, « seul matériau du lieu qui n’est pas déjà peint », dit le communiqué de la Maison de la culture, il prend place dans l’interstice où plancher et mur se rencontrent. Il remplace l’habituelle plinthe, comme si celle-ci s’était levée et contestait, le temps d’un instant imaginaire, son rôle passif et indiscernable.

Ianick Raymond crée un parcours pictural qui sort des limites du cadre. En apparence. Une fois passée l’expérience de l’espace réel, le visiteur découvre une deuxième œuvre, Reprise obstinée. Dans ce tableau en bonne et due forme, l’artiste reproduit, toujours en trompe-l’œil, un amas de lattes, comme s’il s’agissait d’un cliché de l’autre oeuvre avant son installation. L’espace fictif de la peinture, malgré son rendu plus conventionnel, n’en est pas moins efficace.

Se contraindre à se perdre/Peindre à nouveau

De Julie Ouellet/De Ianick Raymond. À la Maison de la culture Frontenac, 2550, rue Ontario Est, jusqu’au 26 août.

À voir en vidéo