«L’exploratrice des matières» n’est plus

La prolifique sculptrice Louise Viger n’est plus. Atteinte de quatre cancers, elle a rendu l’âme mardi à l’âge de 78 ans. Celle dont l’oeuvre iconoclaste se démarque notamment par l’utilisation de matériaux inusités et la recherche de légèreté est saluée par ses pairs pour sa singularité, son engagement et sa générosité.

L’artiste réputée a connu une carrière foisonnante. Parmi ses thèmes de prédilection, l’être humain et sa condition. Louise Viger s’est d’abord intéressée à sa figure, puis à son revêtement. Au cours des dernières années, l’effacement et la disparition sont devenus centraux dans son oeuvre.
Depuis 1978, elle a réalisé plusieurs expositions individuelles au Québec, notamment au Musée d’art contemporain de Montréal et au Musée national des beaux-arts du Québec.
Femme d’équipe, elle a collaboré à de nombreuses oeuvres collectives, dont Seeing in Tongues — Le bout de la langue et Femmes artistes du XXe siècle au Québec.
Louise Viger est également reconnue pour la quinzaine d’oeuvres d’art public qu’elle a confectionnées. Parmi elles, Voix sans bruit, qu’on peut voir à la Grande Bibliothèque de Montréal, Des lauriers pour mémoire, conçue en hommage à Jean Duceppe, et Une architecture d’air, installée à l’entrée de la Plaza Saint-Hubert.
Récemment, elle avait créé La traversée des lucioles, installée dans l’entrée du nouveau CHUM, à Montréal. Ironie du sort, l’artiste a été appelée à revoir cette oeuvre fréquemment au cours des derniers mois, puisqu’elle recevait ses traitements de chimiothérapie dans cet hôpital.
Louise Viger a également été jury dans de nombreux concours d’art public. « Elle était très impliquée dans son milieu », mentionne son ami l’artiste Serge Murphy, qui la connaissait depuis quarante-cinq ans, à l’époque où ils étaient tous deux étudiants à l’Université Laval.
Elle réussissait toujours à innover. Elle ne se contentait pas des solutions banales, c’était vraiment une chercheuse.
Matériaux inusités
Un autre ami, Charles Guilbert, également artiste, l’a qualifiée d’« exploratrice des matières » dans un texte hommage. Et pour cause, Louise Viger s’est distinguée par son utilisation de matériaux inattendus, tels que de la mousse de sécheuse et différentes formes de nourriture.
Cette « marque de commerce » en fait « une des sculptrices les plus originales qu’on avait ici », soutient le directeur de la fondation Molinari, Gilles Daigneault, qui la côtoyait depuis plusieurs années.
Il cite en exemple cette sculpture monumentale conçue dans un arbre du mont Royal, laquelle contenait des milliers de bréchets de poulet. « La patience pour faire ça ! Quel travail pour arriver à quelque chose qu’elle aurait pu faire avec des matières plus simples », s’exclame-t-il, encore ébahi près de quinze ans plus tard.
« Elle avait une manière de réfléchir très personnelle. C’était un travail de longue haleine », ajoute la galeriste Joyce Yahouda, évoquant une robe entièrement conçue de cintres.
« Elle réussissait toujours à innover. Elle ne se contentait pas des solutions banales, c’était vraiment une chercheuse », décrit Serge Murphy.
Une battante
Jusqu’à la toute fin, Louise Viger a lutté contre la maladie et porté ses nombreux projets artistiques avec une volonté de fer, relatent ses proches.
En témoigne son oeuvre Je m’attarde parfois auprès des autres endormies, qui sera inaugurée jeudi à la Biennale de sculpture contemporaine de Trois-Rivières. Inspirée par sa maladie, cette sculpture est composée de deux pantins noirs, dont un porte un masque médical comme elle a elle-même dû en porter récemment. « Ce pantin avec le masque console l’autre pantin par terre. C’est comme si elle, malade, consolait l’autre », détaille M. Murphy.
Louise Viger était une femme de mille et un projets, et encore tout récemment, malgré le cancer qui avait paralysé son corps, elle prévoyait d’en diriger la conception par Skype. Ses proches ont même trouvé dans son courrier des derniers jours deux offres pour réaliser de nouvelles oeuvres d’art public.
Succès d’estime
Malgré sa grande notoriété, Louise Viger était une femme discrète. « Elle avait le don de ne pas prendre toute la place, de simplement faire un geste qui amplifiait psychologiquement l’espace », témoigne Gilles Daigneault.
En changeant constamment de matériel artistique, elle acceptait de ne pas avoir d’image de marque, observe-t-il.
Grande lectrice, Louise Viger s’inspirait d’images littéraires qu’elle prenait au pied de la lettre pour concevoir ses oeuvres, décrit M. Daigneault. « On aurait dit qu’elle voyait la littérature comme un champ de formes et d’images. »
Elle suscitait l’admiration chez ses confrères artistes, notamment du milieu littéraire, qui lui ont rendu hommage récemment en s’inspirant à leur tour de ses oeuvres pour créer, pour un numéro de la revue Les Écrits.
Joyce Yahouda se souviendra de Louise Viger pour sa générosité. « Elle incluait les personnes dans son oeuvre. Elle donnait beaucoup de compliments et encourageait les jeunes, se remémore celle qui l’a connue dans les années 1980. Elle était toujours contente, toujours en train de nous remercier, alors que c’est elle qui nous donnait tellement. »
« Elle était très exigeante envers elle-même, c’était vraiment une fonceuse, reprend Serge Murphy. Si elle avait été en politique… ! » laisse-t-il tomber dans un éclat de rire.