«River», une rivière interactive au centre-ville

«River» s’étale à l’intérieur du hall au rez-de-chaussée sur un dispositif de 11 mètres de long. Elle est visible de la rue, jour et nuit.
Photo: Stéphane Brügger «River» s’étale à l’intérieur du hall au rez-de-chaussée sur un dispositif de 11 mètres de long. Elle est visible de la rue, jour et nuit.

Du Quartier des spectacles au pont Jacques-Cartier, les nuits de Montréal ne sont plus les mêmes depuis que la mode en design urbain est aux interventions lumineuses. Or, une oeuvre en lumières DEL ne signifie pas qu’elle est uniquement nocturne. Une nouvelle proposition, à caractère permanent, en donne la preuve.

L’angle des rues Sainte-Catherine et Peel, au coeur de la ville, vient de changer. Pour la signature visuelle de son nouveau centre de services ouvert en mai, le Mouvement Desjardins a décidé de s’appuyer sur l’art. Sous les conseils de l’agence MASSIVart, le choix s’est porté sur l’artiste Daniel Iregui, à qui on a commandé une oeuvre numérique et lumineuse.

Rare oeuvre pensée pour un bâtiment de Desjardins — le groupe n’est pas tenu d’appliquer la Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement —, la nouvelle pièce, intitulée River, s’étale à l’intérieur du hall au rez-de-chaussée sur un dispositif de onze mètres de long. Elle est visible de la rue, jour et nuit.

« On voulait quelque chose qui représente le nouveau concept des services. On parle d’un [modèle] inspirant, d’innovation. L’art est rendu dans le numérique et c’est ce qui pouvait le refléter », dit David Martellino, directeur régional au groupe bancaire, sans renier la « compétition de lumières » qui prend place sur la rue Sainte-Catherine. « On voulait quelque chose de plus réfléchi que simplement de gros panneaux lumineux », assure-t-il.

Selon Philippe Demers, cofondateur de MASSIVart, un travail de persuasion a néanmoins été nécessaire. « Desjardins voulait une oeuvre verte, qui correspondrait à son identité. On a dû leur expliquer que ce n’était peut-être pas la meilleure option », dit-il.

Comme un caillou dans l’eau

Établi à Montréal depuis huit ans et soutenu par les festivals branchés en arts médiatiques comme Elektra, Mutek et Chromatic, Daniel Iregui signe avec River sa première oeuvre permanente. Oeuvre lumineuse et interactive, comme à son habitude, et réalisée avec les mêmes fins : non pas pour éclairer un objet, mais pour modifier la perception d’un espace.

« Oui, la nuit, on verra davantage la banque, mais je suis plus intéressé par les jeux d’ombre, la réaction des gens, l’expression des visages », disait-il mercredi, veille de l’inauguration de l’oeuvre.

Sa démarche, il la résume à un aspect : intervenir sur l’animation d’un lieu, voire sur les activités quotidiennes. « Si quelqu’un marche vers le métro, s’arrête et passe plus de cinq minutes devant l’oeuvre, [c’est de ma faute] s’il arrive en retard au travail », commente avec une fierté maligne l’artiste d’origine colombienne.

River s’abreuve de l’environnement sonore, autant celui à l’intérieur de l’édifice que celui de la rue. Tout bruit la fait réagir. « C’est comme si on lançait des cailloux dans l’eau. Une voix équivaut à un caillou, une ambulance à dix », illustre Iregui. La variation et le rythme de l’éclairage sont aussi altérés par une programmation aléatoire d’algorithmes numériques, ainsi que par les moments de l’année et de la journée.

Le résultat visuel n’est jamais identique, bien qu’il soit similaire. Comme une rivière en constant mouvement, une métaphore que l’artiste assume avec bonheur.

« Une rivière en milieu urbain change de couleur, de rythme. Son degré de pollution, ou de propreté, qu’elle soit brune ou verte… Son état parle de la ville. Mon concept créatif repose sur cette métaphore. Quand j’ai commencé à réfléchir à comment le visualiser, je me suis mis à jouer avec les algorithmes, tout en cherchant à reproduire le mouvement de l’eau. »

Incontrôlable

 

Le hasard tant extérieur qu’intérieur à l’oeuvre forme l’échine de River. Daniel Iregui, qui assure ne jamais savoir comment tout ça se traduira, confie s’être pour la première fois abandonné au sort. Si l’interactivité est un élément constant de sa pratique, elle prend cette fois une dimension moins contrôlée.

« Je voulais faire une oeuvre interactive, dit-il, sans que cette interactivité soit consciente. L’expérience dans la banque est importante, mais la priorité est ailleurs. L’idée n’est pas d’inciter les gens à crier. »

À la différence de ses autres installations, où l’interaction est « consciente et expressive » : le public, par « ses propres expériences, sa manière de toucher l’oeuvre, de bouger autour d’elle », en prend le contrôle. La rivière visible à l’angle des rues Sainte-Catherine et Peel, personne ne peut cependant décider comment l’agiter. Même avec un gros caillou.

La collection du Mouvement Desjardins contient près de 2500 oeuvres. River en est la première de nature numérique. Elle ne serait aussi que la quatrième intégrée à un bâtiment, les autres étant des peintures murales.

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