Adam Basanta et la machine à créer

Adam Basanta, «Tout ce dont nous aurons besoin est l'un et l’autre», vue de l'installation à la galerie Ellephant
Photo: Simon Belleau Adam Basanta, «Tout ce dont nous aurons besoin est l'un et l’autre», vue de l'installation à la galerie Ellephant

Les liens entre art et nouvelles technologies font rêver depuis plusieurs décennies, mais les résultats sont souvent bien en deçà des attentes. Pensons au procédé des hologrammes qui — nous disait-on dans les années 1970 — allait devenir la façon de faire de l’art dans les années 2000. Pourtant, peu d’oeuvres holographiques importantes furent produites durant toutes ces années.

Dans ces oeuvres issues des nouvelles technologies, la complexité du dispositif l’emporte fréquemment sur le résultat artistique. Heureusement, ce n’est pas le cas dans la plus récente oeuvre de l’artiste Adam Basanta, un dispositif riche en questionnements et en significations. Décrivons la chose.

Sur une table au beau milieu de la galerie Ellephant, deux numériseurs de bureau, posés debout comme des livres ouverts, se font face. Je pourrais même dire qu’ils se regardent ou qu’ils s’épient… Régulièrement, ils se balaient l’un l’autre de leurs rayons lumineux et produisent ainsi des images numériques abstraites qui varient selon la lumière présente dans la salle ou selon les ombres que les spectateurs peuvent faire au dispositif. Cette machine à produire de l’abstraction utilise de plus un logiciel qui fait fluctuer les contrastes, la luminosité, la saturation de ces images, mais aussi la quantité de cyan, de magenta ou de jaune qui s’y retrouve. Une fois ces images produites — de jour comme de nuit —, elles sont étudiées et comparées, grâce à un algorithme, à 1,5 million d’oeuvres d’art tirées des bases de données d’Artsy, mais aussi des collections du Metropolitan Museum of Art et du Museum of Modern Art de New York.

Un logiciel évalue le pourcentage de ressemblance entre cette lumière numérisée et des oeuvres d’artistes classés. Si la similitude apparaît comme assez élevée au logiciel de reconnaissance, l’image est conservée. Nous pourrions dire qu’elle accède à ce moment-là au statut d’oeuvre d’art. Elle est alors mise en ligne sur un site Internet et sur des réseaux sociaux, soit Twitter et Instagram. De plus, ces images sont sur-le-champ imprimées par jet d’encre et certaines sont même exposées.

Cette oeuvre nous dit-elle que l’art abstrait était devenu une machine tournant à vide ? Nous pourrions surtout voir dans ce dispositif les signes d’une critique de notre époque postmoderne où une très grande partie de l’art procède par citations et appropriations de l’art moderne, ou plus ancien, afin de se légitimer. Sur les murs de la galerie Ellephant, vous pourrez voir une dizaine d’exemplaires des créations ainsi réalisées et qui ont des liens avec l’art abstrait. Donnons quelques exemples : cette impression ressemble à 81 % à l’oeuvre No 16 (Red, White and Brown) de Mark Rothko réalisée en 1957, celle-ci à 66 % au tableau G. M-T. 1955-05 de Guido Molinari…

L’ordinateur comme historien de l’art ?

Bien d’autres artistes sont ainsi évoqués : Barnett Newman, Ellsworth Kelly, Josef Albers, Gene Davis… L’oeuvre de Basanta forme-t-elle une sorte de machine autosuffisante capable de générer de l’art digne d’oeuvres anciennes ? Étonnamment, les résultats sont très réussis, les oeuvres abstraites ainsi réalisées n’auraient certainement pas été reniées par le critique d’art Clement Greenberg, pape de l’abstraction américaine. Pourtant, les ressemblances trouvées par l’ordinateur ne sont pas toujours convaincantes.

On pourra même conclure que ce programme de reconnaissance d’images constitue un bien mauvais historien de l’art, n’ayant pas un regard très exercé. Cette installation expérimentale nous dit-elle que l’artiste peut être remplacé par une machine, mais que l’historien de l’art est encore nécessaire ? L’historien de l’art en moi essaie peut-être de se rassurer...

Ces oeuvres abstraites évoqueront surtout la place du hasard dans le domaine de l’art. Elles nous rappelleront comment, depuis au moins le sculpteur Rodin, l’accident et l’aléatoire sont valorisés dans les pratiques artistiques. Ce faisant, Basanta croise ici l’héritage de l’art abstrait avec la manière de créer, froide et indifférente, de l’art conceptuel issu de Marcel Duchamp.

Tout ce dont nous aurons besoin est l’un et l’autre

D’Adam Basanta, à la galerie Ellephant, jusqu’au 2 juin

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