Mouvements libres aux Jardins Gamelin: «Microrévolutions» poétiques et politiques

De la taille d’un paquet de cartes, l’Agit P.O.V., co-inventé par Alexandre Castonguay, se coince dans les rayons d’une roue et permet l’affichage lumineux d’un mot dans celle-ci en roulant.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir De la taille d’un paquet de cartes, l’Agit P.O.V., co-inventé par Alexandre Castonguay, se coince dans les rayons d’une roue et permet l’affichage lumineux d’un mot dans celle-ci en roulant.

C’est une « oeuvre artistique collective et éphémère » qui prendra forme vendredi soir prochain dans le Quartier des spectacles. Une grande balade en vélo se transformant en manifestation artistique ambulante coiffée d’un DJ set de KenLo aux Jardins Gamelin. Les acteurs de cette performance seront trois cents citoyens cyclistes équipés d’un brillant — au propre comme au figuré — petit objet baptisé Agit P.O.V., pour « petit objet de vélo » : de la taille d’un paquet de cartes, il se coince dans les rayons d’une roue et permet l’affichage lumineux d’un mot dans celle-ci en roulant. L’Agit P.O.V. consacre la rencontre entre deux communautés, celles du cyclisme et des arts numériques, ce dont se réjouit l’inventeur du dispositif, le professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM Alexandre Castonguay.

Tout commence par ce mémorable printemps de 2012, raconte le professeur. « L’inspiration vient du carré rouge », symbole de la grève étudiante. Le simple petit bout de feutre porté par ceux qui appuyaient la contestation, « un projet de design des étudiants à l’UQAM, un succès de branding qui ne servait pas à vendre des trucs, mais bien une idée, une vision des choses. À l’époque, il y avait une urgence de prendre la parole dans l’espace public pour faire face à un contrôle, disons, total de ce qui se passait dans l’information diffusée. Mes étudiants me disaient : Je ne peux même plus en parler à mes parents parce que tout ce qu’ils voient à la télévision, c’est la voiture mise en feu, les débordements… »

Comme nombre de ses collègues du corps professoral de l’UQAM, Castonguay avait décidé d’agir face au « braquage du gouvernement au pouvoir, à une opposition bête et méchante, un refus de dialogue. On s’est demandé en assemblée : que fait-on si ça dure ? » On marche. On agit, en donnant aux étudiants les moyens de se faire entendre. « C’était facile pour les peintres et les sérigraphes, qui ont conçu de belles banderoles et de superbes affiches. De mon côté, je me demandais comment faire participer les arts numériques. »

Apôtre du logiciel libre, Alexandre Castonguay, qui se dit aussi issu du mouvement « Do it yourself, assez branché dans les communautés électroniques », récupère une idée avec laquelle il avait déjà travaillé : le concept de persistance rétinienne, sur lequel s’appuie notamment l’effet que produisent 24 images défilant par seconde dans notre cerveau. Un concept somme toute assez simple, qu’il réalisa avec les moyens du bord et le talent de sa petite équipe de co-inventeurs pour créer la première itération de l’Agit P.O.V.

Il déniche un petit logiciel (libre) écrit par un collègue artiste numérique, qu’il adapte à ses besoins ; au boîtier du dispositif est fixée une rangée de douze diodes électroluminescentes (les lumières LED, en plusieurs couleurs), actionnées par une puce électronique et alimentées par une pile, rechargeable grâce à son port mini-USB. Une borne wi-fi est intégrée à l’Agit P.O.V. ; lorsqu’on s’y connecte à l’aide de notre téléphone intelligent, une page s’affiche à l’écran pour permettre d’écrire le mot (ou la phrase, maximum de 17 caractères, espaces compris) désiré et d’en choisir la couleur d’affichage. « Lorsqu’on le met dans la roue, qui décrit un cercle — ce que j’appelle une microrévolution —, le cycliste devient alors porteur d’un message, déployé comme sur un écran par cette mince bande LED. » Pour que le mot reste fixe dans la roue peu importe la vitesse à laquelle on pédale, l’Agit P.O.V. use d’un accéléromètre « comme ceux qu’on trouve dans les téléphones intelligents ».

Comme un charme

 

Six ans et dix versions plus tard, l’Agit P.O.V. fonctionne comme un charme. La première version est sortie du laboratoire peu avant la trêve de juin 2012, juste à temps pour les dernières manifestations. Le premier mot que Castonguay lui a fait afficher fut L.H.O.O.Q., référence à l’oeuvre de l’artiste « et agitateur » Marcel Duchamp — c’est d’ailleurs sur une roue de vélo automatisée devant servir à une installation artistique en clin d’oeil à Duchamp qu’a été testé le dispositif.

Si l’invention a peu servi durant le Printemps érable, elle a continué à vivre en rapprochant différentes communautés, et partout dans le monde : Alexandre Castonguay a donné des ateliers pour montrer comment en fabriquer en Europe, en Afrique et en Amérique latine, ce qui constitue à ses yeux une forme de démocratisation de l’usage des technologies.

« Ensuite, ce qui me séduit, c’est le corollaire entre la prise de parole dans l’espace public en relation avec la culture du numérique et du partage [logiciel libre] d’où je viens. Si tu additionnes ça à la culture du vélo, tout d’un coup, ça fait beaucoup de gens qui se rencontrent » grâce à l’Agit P.O.V. « Comment tisser des liens entre différentes sous-cultures, entre d’autres communautés tout aussi intéressées par les changements sociaux ? Ça, j’y tiens beaucoup », ajoute le professeur.

Rouler avec votre Agit P.O.V. ne fera pas de vous seulement la star du prochain Tour la nuit organisé par le festival Go vélo Montréal, le 1er juin prochain. Il fera de vous un des artisans de cette manifestation « poético-politique » du 25 mai ; en s’inscrivant sur le site de Mouvements libres pour acquérir votre Agit P.O.V., vous soumettez le mot qui s’affichera sur votre monture ; la poète et slameuse Queen K offrira une performance inspirée des mots choisis par les participants. 

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