Du 3D aux trois-espaces

L'oeuvre «Et la pierre irradie le feu. De l’irradiation à l’éclatement» (2015), d'André Fournelle
Photo: Belgo L'oeuvre «Et la pierre irradie le feu. De l’irradiation à l’éclatement» (2015), d'André Fournelle

Jadis doté d’une des galeries les plus vastes et impressionnantes du Belgo, le centre Circa profite de son 30e anniversaire pour ramener à l’esprit cette époque de grandeurs. Avec regret presque : les espaces de Circa ont à ce point été réduits en 2014 qu’il a fallu sortir du centre-ville pour célébrer avec faste.

Ce ne sont pas une, ni deux, mais bien trois expositions qui ont été préparées. Chapeautées du même titre (Feu) et conçues par le même commissaire (André-Louis Paré), elles forment cependant une seule et même expo, scindée en trois parties, ou en trois lieux. L’une prend place au Belgo, en toute logique, les autres dans deux maisons de la culture, sans doute parmi les plus spacieuses.

La question d’espace est inhérente à l’histoire de Circa. Fondé en 1988 par un groupe de céramistes, il a rapidement élargi son mandat à celui de la sculpture, puis à celui de l’installation, arts tridimensionnels par excellence. Depuis quelques années cependant, la notion d’espace n’est plus seulement prise au sens sculptural et inclut des artistes qui font dans le 2D ou dans la performance.

L’exposition Feu est un des trois volets d’un programme intitulé, lui, Feu et origines et incluant une série de performances et une autre de tables rondes. Comme ces deux autres volets sont de nature ponctuelle, on n’en discutera pas ici. Notez qu’un calendrier est affiché sur le site Web du centre d’artistes (circa-art.com).

Entre création et destruction

 

Les trois lieux qui accueillent Feu se partagent les oeuvres de 14 artistes ou collectifs. Un tel éparpillement ne s’explique pas. Peut-être l’intention était-elle d’associer la sculpture à un espace sans limites, mais rien dans la thématique choisie ne l’indique. Encore que si les maisons de la culture Frontenac et Plateau-Mont-Royal avaient été investies dans leur totalité, on y verrait un choix pour la démesure. Or, dans les deux cas, on joue dans la modération.

On peut certes trouver un trait distinctif à chaque lieu — la nature à Circa, le sublime au Plateau, l’hybride à Frontenac —, mais le regroupement aurait été préférable. Tel quel, il est difficile de voir une unité dans ce projet tripartite.

Photo: Belgo «First Blast» (2018, du duo Couturier Lafargue

Pris davantage au figuré que dans une lecture littérale — vous ne verrez pratiquement ni flammes ni cendres —, le thème du feu s’inscrit dans une variété d’interprétations, notamment par sa double résonance comme source de création (ou de progrès) et de destruction (ou de recul).

L’idée de parler des 30 ans de Circa à travers le feu est un clin d’oeil aux origines du centre. La céramique, c’est l’art du feu, et c’est avec raison que l’expo inclut des artistes qui y font appel. Mais plutôt que d’évoquer les métiers d’art, André-Louis Paré s’en est tenu à des cas d’art contemporain. Laurent Craste, un céramiste de formation qui n’hésite pas à corrompre, voire à casser l’objet en porcelaine, apparaît dans ce sens comme un cas emblématique.

Philippe Caron Lefebvre et Dominic Papillon, deux parmi les plus jeunes de l’exposition, se jouent des traditions et de la simple représentation. Les formes organiques qu’ils explorent en céramique composent un échantillon de la nature, chez le premier, et une mise en scène énigmatique, chez le second.

Le feu, c’est aussi une lumière. Elle peut brûler et faire fondre comme pour Icare, ou comme chez Didi-Huberman, dont les « essais sur l’apparition » ont inspiré une installation à Bruno Santerre. Il y est question de papillons réduits en cendres, alors que chez Catherine Bolduc, c’est le contraire : la lumière, féerique, magnifie le banal.

Immatériels dans certains cas, simples images dans d’autres, les exercices sur le thème du feu mènent aussi à des oeuvres qui prennent du poids. Connu pour son recyclage d’objets, Éric Sauvé propose ainsi Pour ce qui flotte, une installation à base de bidons d’essence. Le ton ici est politique, voire alarmiste à l’égard de tout ce pétrole que la planète brûle.

Emblématique du créateur qui puise dans les éléments naturels, André Fournelle a fait du feu sa signature. Or, ici, point de flammes, sinon en amont : l’installation Et la pierre irradie le feu est le résultat du dynamitage d’une grosse roche. Scindée en quatre, la pierre fait une suite du renouvellement d’une vie, et non pas une rupture. Dans la vidéo documentaire de l’oeuvre, Fournelle appelle à « respecter le côté aléatoire de l’éclatement ». « Chaque fragment, dit-il, est la quintessence d’un tout. »

Exposition commémorative, Feu n’est pas une affaire passéiste. La grande majorité des oeuvres ont été réalisées dans les deux dernières années, y compris celles des « vétérans » Fournelle et Yves Louis-Seize, un des fondateurs de Circa. Le choix du thème, c’est un peu aussi pour illustrer que dans ce centre d’artistes, le feu sacré brûle toujours.

Feu

Au centre Circa jusqu’au 16 juin, à la Maison de la culture Frontenac jusqu’au 3 juin et à la Maison de la culture Plateau-Mont-Royal jusqu’au 10 juin

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