Squat autorisé

L’espace actuellement investi par l’exposition «À louer» a été occupé par le groupe d’Anne-Marie Ninacs pendant six mois.
Photo: Léa Castonguay L’espace actuellement investi par l’exposition «À louer» a été occupé par le groupe d’Anne-Marie Ninacs pendant six mois.

Ce n’est pas parce que les locaux vacants se multiplient qu’il est plus facile pour les sans-le-sou et les OBNL de se loger. Les artistes sont dans le même bateau, eux qui peinent à trouver des espaces où travailler, exposer, entreposer. Les initiatives pour contourner le problème ne manquent pourtant pas et le projet À louer en est sans doute un des plus nobles.

À la fois le nom d’un local et d’un collectif d’artistes encore aux études, À louer est aussi le titre de l’exposition du collectif, née en réaction à ce paradoxe économique qui empêche l’offre et la demande de s’entendre. Que ce projet mené par des finissants de l’UQAM aboutisse en une vie publique, et concrète, prouve qu’il y a cependant moyen de trouver des terrains d’entente.

La vingtaine d’artistes derrière À louer forment le groupe du cours « Projet de fin d’études » donné dans le cadre du programme baccalauréat en arts visuels et médiatiques. Sous la supervision de la professeure Anne-Marie Ninacs, chacun a dû non seulement réaliser « un projet de synthèse centré sur une problématique personnelle », mais aussi participer à la planification collective d’une présentation publique.

Le principal défi, comme à chaque cohorte, c’est de trouver une niche. Contrairement aux étudiants en maîtrise qui possèdent le centre de diffusion (le CDEx), les inscrits au premier cycle n’ont accès à aucune salle. Les obstacles administratifs ont néanmoins été franchis avec succès cette fois et l’UQAM a prêté un local qui était vacant depuis un moment.

Le résultat de l’exercice est à voir boulevard de Maisonneuve, situé hors des murs de l’établissement universitaire. De la peinture au document audio, de la sculpture à l’oeuvre textile, d’une série d’affiches féministes et caustiques à l’installation performative, incluant l’artiste en chair et os… La diversité des propositions témoigne du large spectre d’individualités.

Photo: Léa Castonguay

Les pratiques personnelles n’excluent pas la bataille collégiale, celle pour trouver un lieu d’exposition. Il se dégage d’ailleurs de cet espace sans locataire fixe des projets ouverts sur la collectivité, sur l’écoute des autres et même sur l’existence d’un bien commun, quoi qu’en pense l’économiste Youri Chassin.

Parmi les projets les plus politisés, mentionnons les tissages de Michaëlle Sergile, nés d’une interprétation critique de l’oeuvre littéraire de Frantz Fanon, ou le projet environnemental d’Audrey-Anne Duplessis, investie dans une pratique ancestrale de la lessive. Dans le même esprit d’une vie autosuffisante moins polluante, Myriam Turcotte déambule en ville avec des vêtements et des sacs qu’elle fabrique avec des retailles et d’autres déchets. À la manière d’une Raphaëlle de Groot, ses excentriques tenues n’en sont pas moins sensées, parce que liées au partage et à l’écoute.

L’expo À louer : repaire variable dépasse le simple fait de présenter publiquement des oeuvres. C’est un manifeste, sans le nom, qui appelle à tisser des liens. D’abord entre les membres du cours, puis entre eux et l’établissement d’enseignement, ainsi qu’entre le groupe et d’autres collectivités. Sans prendre encore l’identité d’un centre d’artistes, le collectif a fonctionné en partie dans cet esprit, ouvrant le local du boulevard Maisonneuve à d’autres projets. En janvier, s’y est tenu notamment un festival d’impressions éphémères.

Photo: Léa Castonguay L’expo «À louer : repaire variable» dépasse le simple fait de présenter publiquement des oeuvres.

Le lieu, baptisé À louer, a été occupé par le groupe d’Anne-Marie Ninacs pendant six mois. Il a servi de salle de cours et d’atelier, a accueilli conférenciers et fans de karaoké (!), avant de devenir une éphémère galerie. La création vient avec des conditions d’espace et des expériences que seul le temps peut apporter.

L’engagement de chaque individu a certes à voir avec le long terme, mais il en va de même, entend-on entre les lignes des demandes d’À louer, pour l’établissement universitaire.

« Nous espérons sincèrement avoir réussi à démontrer que des étudiant-es du premier cycle ont toutes les capacités requises pour réfléchir les finalités d’un lieu, l’activer par la discussion, l’action ou l’exposition, et l’employer comme point de convergence pour la mise en commun et la solidarité », lit-on dans le texte de présentation de l’exposition.

Le groupe aimerait d’ailleurs « céder son repaire variable » à la cuvée qui lui succédera en septembre. L’UQAM ne s’est pas prononcée sur l’avenir de cet espace commercial, mais d’ici la fin de l’année scolaire en cours, d’autres groupes étudiants sont attendus pour l’occuper.

À louer : repaire variable

Au 407, boulevard de Maisonneuve Est, jusqu’au 25 avril.

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