De Visu - Histoire d'espions

De la célèbre Mata Hari aux James Bond girls, l'image de l'espionne ancrée dans notre imaginaire est celle de la femme fatale, séduisante et dangereuse... Avec l'installation intitulée Little Breeze, présentée à la galerie Oboro, l'artiste Nina Levitt remet en question ces mythes et stéréotypes en s'inspirant d'agentes secrètes peu connues.

Nina Levitt s'intéresse aux images et aux symboles qui influent sur la construction de l'identité et les rôles sexuels. Elle réinterprète dans ses oeuvres les images de femmes diffusées par la culture populaire. Si cette thématique n'est pas nouvelle dans l'art contemporain, le sujet que l'artiste a choisi de présenter ici est assez inhabituel: les espionnes anglaises de la Seconde Guerre mondiale et particulièrement l'agente Violette Szabo (d'origine française et britannique, Violette Szabo fut capturée lors de sa deuxième mission, puis déportée à Ravensbrück, où elle fut fusillée quelques mois seulement avant la fin de la guerre, à l'âge de 23 ans). Il en ressort une oeuvre intrigante, mais un peu vide.

Little Breeze a été créée en collaboration avec l'artiste Nicholas Stedman; c'est une installation interactive complexe qui engage la participation du spectateur. L'oeuvre avait déjà été présentée en 2002 dans l'exposition Finding Camp X, Contemporary Considerations of an Enigma, à Oshawa. Messages cryptés, codes, dissimulations en tous genres, l'iconographie de l'espionnage est utilisée d'une manière presque caricaturale. En entrant dans la pièce, on voit des valises de tailles et de formes différentes, datant de la Seconde Guerre mondiale, dispersées sur le sol. Quand on soulève une de ces valises, on entend une bande sonore qui s'arrête une fois la valise reposée. Si l'on ouvre une valise, un dispositif électronique enclenche la projection, sur un écran, d'une séquence du film Carve her Name with Pride (1958), interprétation romancée de la vie de Violette Szabo... La séquence du film se détache graduellement sur un fond marqué de signes ASCII, code numérique crypté qui ressemble à un code secret. Quand on referme la valise, l'image du film se dissipe peu à peu pour reprendre la forme des codes... L'effet est remarquable.

Dans l'autre salle, on voit sur les murs des portraits de différentes agentes ayant appartenu aux services secrets britanniques durant la Seconde Guerre mondiale, avec des données biographiques les concernant. Le bruit de fond recrée les tonalités sourdes d'un message en code morse. Message qui est en fait la traduction de la chanson Louise, de Maurice Chevalier, dont est tiré le titre de l'installation («Louise» était aussi le nom de code de Violette Szabo). Lorsqu'on entre dans la salle, une webcam détecte notre présence, le code morse est alors remplacé par la véritable chanson. Quand on s'immobilise, la chanson redevient peu à peu code morse... L'oeuvre dégage une aura mystérieuse, une dimension secrète qu'il nous faut déchiffrer. On devient espion, et cette surveillance qui accompagne nos gestes nous fait ressentir un certain malaise... Comme si on a été épié.

Prouesse technique

Cette prouesse technique est certainement impressionnante, mais le message reste ambigu. Sans fils conducteurs précis, on s'interroge sur les liens entre les différents éléments de l'oeuvre. L'artiste attache une grande importance à l'idée de l'éphémère. Comme l'indique le titre Little Breeze, ces femmes espionnes sont dans l'oeuvre comme dans l'histoire: une présence discrète, dissimulée, brève. Mais cet aspect n'est malheureusement pas développé d'une manière assez convaincante. Ce que l'on retient surtout, c'est cette récupération dans un nouveau contexte du stéréotype de l'agent secret féminin. Et puis, le personnage de Violette Szabo: moins flamboyante qu'une Mata Hari, elle n'est pas une courtisane, élégante et manipulatrice, mais s'apparente plutôt au rôle traditionnel du héros de type «masculin». Son image ne découle pas du fantasme ou de la fiction. Jeune et belle, elle est aussi indépendante, courageuse, forte et loyale: elle renverse les clichés. En occupant la place centrale de l'oeuvre, elle devient le symbole de la femme qui opère dans un monde où les codes sont dictés par les hommes. Dans ce contexte, l'oeuvre peut être vue comme un hommage. Mais la complexité technique prend trop souvent le dessus sur le contenu, nous donnant l'impression d'une oeuvre riche en potentiel mais malheureusement surfaite et un peu pauvre en réflexion.

À voir en vidéo