Le crépuscule des demi-dieux au Musée des Laurentides

Il fut une époque, pas si lointaine, où collectivement nous avons vraiment cru — et le verbe « croire » a bien ici une filiation souterraine avec la religion — au fait que la science et les technologies allaient transformer les êtres humains en demi-dieux. Dans les années 1960, on nous promettait qu’en l’an 2000 l’humanité n’aurait presque plus besoin de travailler. À l’époque, on croyait aussi que la famine, la malnutrition ou la pauvreté seraient bientôt éliminées… On avait aussi foi dans les progrès de la médecine. Il n’y aurait bientôt plus de maladies. En 1971, le président Nixon avait même déclaré que le cancer serait bientôt éradiqué. Nous serions prochainement immortels ou peu s’en faut.
L’exploration spatiale a participé à ce rêve d’un monde futur sans limites. Après la conquête de la Lune en 1969, nous devions nous rendre prochainement sur Mars. Et dans les années 1980, on imaginait qu’avec la navette spatiale, un voyage dans l’espace allait devenir aussi simple qu’un vol en avion.
L’artiste Rober Racine fut toute sa vie fasciné par la conquête de l’espace, en particulier par les missions Apollo. Il a même été jusqu’à rencontrer l’astronaute canadien Chris Hadfield. L’artiste multidisciplinaire a « toujours pensé que l’aventure spatiale se rapprochait de la création artistique : observation, expérimentation, essai, invention, audace, risque, composition, dessin, concentration, dépassement, focus, mouvement ».
Racine a ainsi réalisé plusieurs oeuvres mettant en scène cette exploration de l’univers en faisant des liens avec la mythologie et l’Antiquité en général. Par exemple, en 1999-2000, il a réalisé l’oeuvre murale Spica dont une des deux versions est installée dans le hall d’entrée du Musée d’art contemporain de Montréal. Vous pourrez d’ailleurs voir cette oeuvre au Musée d’art contemporain des Laurentides, qui offre une exposition de Racine ces jours-ci. Cette murale est accompagnée d’une bande audio qui laisse entendre la voix de l’actrice Izabelle Moreau qui égrène d’une manière très sensuelle les noms des étoiles principales de la Voie lactée. Racine insiste dans cette oeuvre sur l’aspect presque poétique des noms de ces astres.
Mais ce n’est pas au spectacle triomphaliste de la conquête de l’espace que Racine nous convie finalement. Dans une série d’oeuvres plus récentes, l’artiste nous montre comment la modernité futuriste d’une époque peut rapidement devenir un passé obsolète. Dans une autre des oeuvres présentées, Les livres des constellations, Charles Gagnon et l’univers (2015-2017), il nous propose de scruter huit grandes boîtes lumineuses accrochées à un mur donnant à voir 1816 diapositives. En 2009, Racine a reçu de Michiko Gagnon, veuve du peintre, photographe et cinéaste Charles Gagnon (1934-2003), cette série d’images.
Gagnon a lui aussi été fasciné par le cosmos, par les représentations de l’espace dans des films — dont 2001 : A Space Odyssey et Star Trek II —, dans des images produites par des planétariums ou par la NASA. Racine nous expose ici plusieurs technologies (et les rêves qui leur étaient attachés) qui sont maintenant dépassées : la navette spatiale, la diapositive, la boîte lumineuse…
Un peu plus loin, dans la même salle, Racine a réalisé une série de courtes vidéos à partir de ces diapos, recréant des animations fragmentées. Il expose alors la théorie qu’une certaine idée du cinéma, fonctionnant par une succession d’images, est elle aussi en train de mourir, ruine d’une époque qui avait pourtant bien cru en son futur infini et glorieux.
Trahan et la modernité en crise

Toujours au Musée d’art contemporain des Laurentides, l’artiste Carl Trahan nous invite à poursuivre cette réflexion sur la modernité. Dans ce cas-ci, c’est à travers le récit du Docteur Faust de Goethe. Dans l’opuscule de présentation, il est expliqué comment, pour le philosophe Marshall Berman, le personnage de Faust incarne une sorte de tragédie du développement économique, technologique, scientifique… « Qui ne se soumet pas au développement constant devient obsolète et périt », nous prévient ce texte.
Dans cette exposition intitulée Das Gleitende — I (Le glissant — I), Trahan met en scène cette crise de la modernité sur laquelle il a déjà travaillé à la galerie Battat Contemporary en 2016 et au Musée national des beaux-arts du Québec en 2017. À travers un certain nombre de citations, de morceaux de textes de la pièce de Goethe, il effectue une mise en abîme de l’abîme existentielle que les romantiques, entre autres allemands, présentèrent dans les notions de fragments et de ruines.