L’art de Skawennati révélé dans ses dimensions militante et éducative

Skawennati, «(Tekanawí:ta)», machinimagraphie tirée du «Retour du Pacificateur, 2017. Nous tendons les perches», une expo jeunesse.
Photo: VOX, centre de l’image contemporaine Skawennati, «(Tekanawí:ta)», machinimagraphie tirée du «Retour du Pacificateur, 2017. Nous tendons les perches», une expo jeunesse.

L’artiste mohawk Skawennati connaît une année exceptionnelle grâce à la présentation de son travail sur des tribunes variées. Encore deux expositions lui font la part belle, avec cette fois la particularité de mettre l’accent sur le caractère militant et éducatif de sa production, permettant dès lors d’en avoir une perception enrichie.

Les contextes de diffusion l’affirment sans ambages avec l’« exposition-forum », présentée à la galerie universitaire Leonard Bina Ellen, et l’« exposition jeunesse », un genre développé sur mesure depuis 2013 par Vox. Ensemble, les expositions font ressortir 20 ans de pratique dédiés à faire une place aux autochtones dans la cyberculture et à s’approprier de façons novatrices les outils numériques autrement accaparés par l’industrie du jeu vidéo et des environnements virtuels.

D’emblée technophile, avec un enthousiasme qui pourra cependant passer pour excessif, l’artiste propose des oeuvres déboulonnant l’histoire coloniale, des uchronies créées sur des plateformes numériques qui favorisent la participation d’internautes. Personnages historiques (Kateri Tekakwitha, par exemple) et avatars, celui de Skawennati ou des autres, évoluent ainsi dans ce qu’elle appelle ses « machinimas », des vidéos d’animation réalisées sur la plateforme de réalité virtuelle Second Life et dont les épisodes sont, entre autres, regroupés sous le titre TimeTravelerTM.

Futurs autochtones

 

TimeTravelerTM (2008-2013) est de loin la production la plus connue de l’artiste, qui fut notamment révélée à la Biennale de Montréal en 2014, L’avenir / Looking Forward. D’où le mérite de l’exposition Combler les espaces vides, présentée à Concordia, qui permet de dévoiler l’arrière-plan consistant qui accompagne cette oeuvre.

Photo: VOX Skawennati, «Becoming the Peacemaker (Iotetshèn:’en)», machinimagraphie tirée du «Retour du Pacificateur, 2017. Nous tendons les perches», une expo jeunesse.

L’exposition retrace 20 ans d’engagement (projets interactifs, recherches, conférences) ancré en grande partie dans une collaboration de l’artiste avec Jason Edward Lewis (d’origines Cherokee, Kanaka Maoli, Samoan), comme le souligne une animation du duo dans le vestibule de la galerie. Bien plus que leurs réalisations, l’exposition présente aussi les contributions de collectifs et d’artistes autochtones ainsi que des jeux vidéo conçus lors d’ateliers dans les écoles de Kahnawake.

Précurseur, le projet collectif CyberPowWow (1997-2004) portait en germe ce qui caractérise Aboriginal Territories in Cyberspace (AbTeC), la plateforme qui a pris le relais en 2005 et qui se veut un réseau international pour les arts médiatiques où peut s’affirmer un imaginaire du futur par les autochtones. Sortir les traditions orales de l’oubli, défaire l’image stéréotypée de l’autochtone identifié à la sauvage nature sont ainsi les objectifs des activités à la dimension artistique parfois rendue secondaire.

Fiction fantaisiste

 

Ne pas sacrifier la dimension artistique, c’est le défi que s’est donné Vox en développant ses expositions jeunesse, un genre plutôt rare en arts visuels. Skawennati (avec AbTeC) est la troisième artiste à se prêter à l’exercice, un choix tout indiqué considérant l’ensemble de sa pratique.

L’animation vidéo diffusée au sein d’une structure rappelant les maisons longues iroquoises ne déroge pas de son travail habituel, déjà empreint de candeur et composé d’une imagerie colorée marquée par des maladresses techniques volontaires. L’installation donne à penser qu’il n’y a pas que les ateliers éducatifs esquissés pour eux qui feront le bonheur des jeunes de 5 à 11 ans. N’importe qui pourrait aussi se laisser séduire par cette fiction fantaisiste qui se déroule en 3025 dans un monde pacifié et post-racial peuplé de cyborgs. Ces derniers n’ont sans doute pas le mordant radical des figures ironiques théorisées par la féministe Donna Haraway, mais font sourire grâce aux situations cocasses qui arrivent durant leur voyage dans le temps.

Jalons d’une année faste pour Skawennati

L’année 2017 a commencé en lion pour Skawennati qui a présenté en solo Le monde de demain, chez Oboro, avec les images et les figurines de son avatar, décliné de la stéréotypée Barbie, et sa machinima She Falls for Ages.

Les épisodes notoires de son TimeTravelerTM ont quant à eux été greffés à l’exposition en ligne Uchronia What if ?, concoctée par le Laboratoire NT2 de l’UQAM — féru des récits en arts hypermédiatiques —, qui avait sa vitrine dans l’exposition de groupe HyperPavilion à la Biennale de Venise cet été.

Des images tirées de ses animations dans Second Life font partie de l’exposition de groupe Focus : art médiatique et cinétique, en cours chez Ellephant, la galerie montréalaise qui la représente. Jusqu’au 17 décembre au 1201, rue Saint-Dominique.

Owerà:ke Non Aié:nahne (Combler les espaces vides) / Teiakwanahstahsontéhrha’ (Nous tendons les perches)

Un projet de Jason Edward Lewis et Skawennati. À la galerie Leonard & Bina Ellen jusqu’au 4 décembre. / De Skawennati. À Vox, à Montréal, jusqu’au 20 janvier.



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