Printemps artistique à Téhéran

Une installation de l'artiste Amir Reza Salari, «Birds of Peace Light Symphony»,  est projetée sur la tour Azadi à Téhéran le 19 septembre 2017.
Photo: Atta Kenare Agence France-Presse Une installation de l'artiste Amir Reza Salari, «Birds of Peace Light Symphony»,  est projetée sur la tour Azadi à Téhéran le 19 septembre 2017.

Des femmes à la tête presque entièrement dévoilée et des hommes arborant cet accessoire ostensiblement impérialiste qu’est la cravate : loin des clichés sur l’Iran, c’est le spectacle devenu classique d’un vernissage dans le nord de Téhéran.

À la mode, riche et à l’aise dans son élément, la foule des visiteurs évolue dans une galerie privée entre des oeuvres de Pouya Afshar, artiste iranien installé aux États-Unis, entre sculptures abstraites, portraits grotesques et dessins animés tournant en boucle.

Âgé de 33 ans, M. Afshar a un profil assez courant parmi les classes moyennes et supérieures iraniennes : il enseigne dans une université américaine, mais dit être toujours ramené chez lui, « comme conduit par un besoin irrépressible ». « Quand je suis ici, je ne suis pas totalement Iranien, et aux États-Unis, je ne suis pas totalement Américain. C’est ce qui m’aide à faire ma propre soupe », dit-il.

Depuis 2013 et l’arrivée au pouvoir du président Hassan Rohani, qui fait figure de modéré après l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, M. Afshar se sent plus à l’aise pour aller et venir entre les États-Unis et la République islamique.

Téhéran compte aujourd’hui une centaine de galeries d’art, contre une poignée il y a dix ans. Traquant tout ce qui pourrait être perçu comme non conforme à l’islam ou obscène, les autorités et la censure continuent de contrôler strictement le monde de l’art. Mais de jeunes créateurs peuvent désormais se ménager un espace d’expression en public.

Monde « schizophrène »

Certains d’entre eux redoutent cependant d’être enfermés dans une bulle, confinée aux quartiers nord, huppés, de Téhéran. Hors micro, ils parlent aussi de séjours en prison et d’amis poussés à fuir le pays pour s’être un peu trop affichés.

« Les coups durs, on s’efforce de ne pas y penser, on ne peut pas faire autrement », dit un galeriste téhéranais souhaitant conserver l’anonymat.

Il évoque la « schizophrénie » d’un petit monde de « 2000 personnes qui passent de galerie en galerie, et de fête en cocktail, comme s’ils vivaient à Los Angeles [grande métropole d’émigration iranienne] sans y être réellement ».

« Vous êtes anesthésiés par l’idée que vous vous trouvez dans une fête, alors que vous êtes en réalité enfermés à double tour », dit-il.

Pour autant, ce galeriste concède que l’atmosphère est beaucoup moins pesante que par le passé. L’ouverture actuelle fait remonter à la surface des préoccupations artistiques ordinaires, comme la notion d’authenticité, la question du financement de l’art ou encore ce que signifie être un « artiste iranien ».

L’influence des cultures

Dans ses dessins, Nima Zaare-Nahandi navigue entre surréalisme et hyperréalisme. Il rejette l’idée que sa nationalité devrait influencer son style : « L’art est universel », dit-il dans son atelier à Téhéran.

« Bien évidemment, la culture locale influence les artistes iraniens, mais aujourd’hui, nous sommes aussi largement exposés aux autres cultures de la planète », ajoute cet artiste de 34 ans.

Il reconnaît l’emprise qu’opèrent sur lui le cinéma japonais et sa formation à Paris et à Madrid.

Pour lui, le défi que rencontre aujourd’hui l’Iran est de bâtir les institutions qui pourront nourrir les talents futurs. « Plus que de galeries, qui n’ont jamais qu’un rôle commercial, estime-t-il, c’est d’instruction artistique, de musées et de critiques qualifiés dont nous avons besoin. »

Ces éléments commencent à se mettre en place, lentement, grâce aux fonds drainés par des collectionneurs locaux et étrangers qui font preuve d’un intérêt grandissant pour les artistes iraniens.

Encore des obstacles

 

Mais pour Hormuz Hématian, qui a fondé il y a cinq ans la Galerie Dastan à Téhéran, de nombreux obstacles demeurent. « L’an dernier, l’intégralité de la scène artistique iranienne n’a rapporté que 35 à 50 millions de dollars, dit-il. Le total des chefs-d’oeuvre de l’art contemporain iranien ne peut pas valoir autant qu’une seule peinture vendue par Sotheby’s ! »

« Il nous faut des écrivains, des traducteurs. Et aussi des visiteurs qui n’ont pas peur de venir ici », diagnostique M. Hématian.

À l’écouter, le marché de l’art contemporain iranien pourrait quintupler, voire décupler dans les dix ans à venir si les sanctions économiques américaines qui continuent de peser sur la République islamique venaient à être levées.

« Dès lors que seront résolus les problèmes bancaires, les marchés américain, français ou britannique s’ouvriront […], et la croissance sera énorme », prédit-il, en rappelant « le riche passé de culture visuelle » d’un Iran bimillénaire sur lequel peuvent s’appuyer les artistes locaux.

Bien sûr, il faudra continuer de jouer avec la censure, mais celle-ci est plus « agaçante » que répressive, juge un autre directeur de galerie souhaitant conserver l’anonymat, en ajoutant qu’elle « peut aussi stimuler la créativité ». « Ces temps-ci, nous sommes très optimistes, avoue-t-il. La vie devient plus facile. C’est le printemps. »

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