Des ténèbres

Il faut absolument que vous alliez voir cette exposition. Vous ne le regretterez pas. Elle vous permettra d’admirer quelques-unes des oeuvres d’un des plus grands photographes au pays. Un photographe que bien d’autres grands photographes — dont Gabor Szilasi — ont célébré et dont nous ne voyons presque plus jamais le travail dans les musées ou galeries.
John Max (1936-2011), de son vrai nom John Porchawka, a produit une oeuvre singulière sur une assez courte période de temps, en gros du milieu des années 1960 au début des années 1970. Après quelques expositions remarquables, il s’est fait rare, se repliant dans sa maison où il amassait quantité de livres et de documents, au point de rendre son environnement dangereux. Michel Lamothe a réalisé en 2011 un film sur l’artiste dans lequel on peut vraiment saisir l’être angoissé qu’il était.
Malgré le peu d’expositions réalisées par Max, il a néanmoins marqué l’histoire de ce moyen d’expression et notre histoire de l’art. Une de ses expositions en particulier frappa l’imaginaire. Intitulée Open Passport, elle commença à Ottawa en octobre 1972 et circula à travers le pays jusqu’en 1976, achevant son parcours à Montréal lors des Jeux olympiques. Grâce à cette expo, John Max est devenu un mythe dans le milieu de la photo. Les images accrochées par groupes y constituaient une trame narrative ouverte impliquant une lecture active du spectateur.
Comme l’explique l’historien de l’art Michel Hardy-Vallée, cette trame se voulait le parcours inventé vers la vieillesse d’un jeune garçon, représenté par David, le fil de John, afin qu’il devienne un homme digne.
Fragment d’une grande histoire
En dialogue avec une exposition sur le livre photographique — qui regroupe entre autres des oeuvres de Denis Farley et Normand Rajotte — la présidente de la galerie La Castiglione, Marie-Josée Rousseau, propose donc une sélection d’images de la série Open Passport. Certes, cette présentation ne regroupe que 12 photos sur plus de 160 images de l’exposition originale. Mais la sélection est néanmoins merveilleuse.

La photo prise par John Max du photographe Sam Tata (1911-2005) — lui aussi un créateur majeur — est d’une inquiétante magnificence. Une autre photo, une image de sa femme, présentée les seins nus, ses bras encore pris dans un pull qu’elle a en fait juste relevé, a quelque chose de fantomatique.
Les photos de Max défient l’usage commun du médium qui consiste à élaborer des images claires et lisibles. Sans pour autant laisser tomber la finesse des détails, ses photos sont sombres, avec de courageux effets de noir sur noir. On n’est pas loin du clair-obscur baroque. Mais on est aussi très proche des recherches visuelles du photographe Pierre Gaudard, autre géant absent de nos murs de musées. Les images de Max dessinent toujours des formes sombres en aplat qui troublent nos repères spatiaux, mais qui viennent structurer la composition, s’alliant et s’opposant au sujet présenté, créant une familière étrangeté.
Nous avons une histoire, mais nous avons peu de mémoire. Cette expo est l’occasion de nous rappeler que nous sommes étrangers à notre propre passé. De plus, elle nous permet de comprendre comment, dans notre histoire de l’art, la photo semble encore de nos jours le parent pauvre de la peinture.
À quand une rétrospective de l’oeuvre de John Max dans un grand musée du Québec ou du Canada ?